On a voulu enterrer Philippe Sollers: il esquive la mise au tombeau et son esprit reste en alerte, en mouvement. En bon stratège, il lance une Contre-attaque, la meilleure des défenses, une occasion de parler de lui et, peut-être, par ricochet, de faire parler de lui...
Après avoir écrit régulièrement dans Le Monde, Le Journal du Dimanche, L'Observateur, il ne dispose plus de la moindre tribune de presse. Qu'à cela ne tienne, cet indéfendable, cet inassimilable, cet irrécupérable est bien vivant: Jamais bien pensant. Jamais indigné. Je regarde. Je capte. C'est très mal vu...
Avec son interlocuteur, et ami, Franck Nouchi, il signe un livre réunissant treize-quatorze entretiens qu'ils ont eus entre le 27 octobre 2015 et le 27 mars 2016 et au cours desquels ils ont évoqué et cité nombre de pièces figurant dans son dossier.
Mais, pour sa défense, c'est ce qu'il dit de la littérature qui emporte le plus la conviction, sans doute parce que c'est ce qu'elle peut penser qui l'intéresse passionnément. Et parce que, pour lui, la littérature est avant tout une école de liberté. Une liberté libre comme dit Rimbaud.
Sollers contate que la littérature actuelle a ceci de particulier, et peut-être est-ce un tournant considérable, que ce sont les morts qui sont en danger, et pas forcément ceux qui sont vivants. Pourquoi? Parce que les hiérarchies intellectuelles et artistiques ont disparu.
Tant que ces hiérarchies n'auront pas été rétablies pour évaluer ce pays qui s'appelle la France, on nagera dans la bouillie... Au sommet de la hiérarchie des écrivains, Sollers ne place ni Péguy ni Rebatet, mais Proust et Céline. Et dit à leur propos:
Dans ce monde très con, très sérieux, l'extraordinaire humour plus que noir de Céline échappe à tout le monde. De même que l'ironie absolument admirable de Proust par rapport à la décadence du faubourg Saint-Germain.
Le monde est en effet très con et très sérieux. Sollers a raison de dire que plus que l'effondrement de l'université ou de l'école, le problème est l'effondrement de la pensée. En effet fini le temps des analyses, voici celui des péroraisons d'opinions.
La parade à cet effondrement se trouve dans ce dialogue:
Franck Nouchi: L'urgence est donc de se remettre à penser...
Philippe Sollers: Et de lire. Car la littérature, elle, pense en dehors de l'idéologie.
Franck Nouchi: Et de se remettre à écrire, alors...
Philippe Sollers: Pour savoir écrire, il faut savoir lire. Pour savoir lire, il faut savoir vivre.
Si le livre de Sollers et Nouchi ne se résume bien évidemment pas à ses propos sur la littérature - on lira avec profit ce qu'il dit, par exemple, de la Bible, des religions, de l'islam, de la moraline, du faux et du laid, de l'absence de poésie et donc d'amour -, c'est sa posture singulière sur tous les sujets qui retient l'attention:
Je ne suis pas là pour dire ce qui est bien pour la société. Je suis là pour pointer du doigt la façon dont elle avale le mal dans le tout-est-dans-tout-et-réciproquement.
Francis Richard
Contre-attaque, Philippe Sollers, 240 pages Grasset
Livres précédents chez Gallimard:
Trésor d'amour (2011)
L'éclaircie (2012)
Médium (2014)
L'école du mystère (2015)
Mouvement (2016)