Le lecteur vient aux nouvelles: il y en a trente-cinq dans La fin des haricots. De quoi satisfaire ses goûts, multiples et variés, sensuels autant que spirituels. Car ces nouvelles sont de toutes sortes et de toutes couleurs: il y a Les aigres-douces, Les amoureuses, Les crépusculaires, Les existentielles, Les gourmandes et Les végétales.
Les aigres-douces sont des nouvelles qui, comme certaines sauces asiatiques, surprennent par leur mélange contradictoire: celui d'une Suisse de rêve qui renvoie, celui d'un sportif déchu un jour qui se bat toujours, celui de tristes funérailles d'une femme aux sourires facétieux, celui d'une ville abêtie aujourd'hui où tout le monde lisait naguère, celui d'une femme pleine de dédain qui, curieusement, sourit tout soudain...
Les amoureuses sont des nouvelles où des amours contrariées trouvent une réponse épistolaire, où un ressentiment s'efface devant la force d'un sentiment, où un coup de pouce du destin vient au secours d'un revirement du coeur, où des circonstances naturelles se font complices, où l'élégance répond à la muflerie, où une rencontre prend un détour insolite, où un délit amoureux est révélé de manière inattendue...
Les crépusculaires sont des nouvelles...sombres: un fils qui n'en peut plus et qui ne fait rien d'autre que descendre, une marée noire qui ravage une côte auparavant nourricière et prodigue, un homme qui crie pour tuer l'accident dans sa tête, un frère et une soeur qui se rendent à une rave party et, ce faisant, jouent leur destin...
Les existentielles sont des nouvelles où les chiffres ne pèsent pas lourd face à la réalité toute crue, où les gènes pèsent plus lourd que les artifices, où se projeter systématiquement dans le futur empêche de cueillir le jour, où ne pas vouloir vieillir tourne à l'incantation, où les désirs insatisfaits sont le moteur de l'être, où la procrastination résout temporairement un dilemme, où un trou de mémoire alimente la superstition et une catastrophe annoncée le besoin de foi.
Les gourmandes sont des nouvelles culinaires, où il est question de haricots (peut-être fatals), de plat favori (tête de veau sauce gribiche), de sandwich au camembert, de dindons (et de leur farce), de chocolat (en truffes, en rochers ou en bâtons au kirsch), qui sont les ingrédients, d'ordinaire destinés aux papilles, d'histoires courtes (les meilleures, dit-on) et savoureuses.
Les végétales sont des nouvelles où une vielle dame égrène les feuilles de sa vie en automne (sa saison préférée), où des femmes des cinq continents font connaissance à Genève et y plantent un arbre de chez elles, où un haricot lilas s'éprend d'une citrouille dodue, où un amoureux se met en quête de marguerites (en voie de disparition) pour sa belle, où une anémone égarée dans une prairie sauvage attend le soir.
Toutes ces nouvelles montrent la diversité des centres d'intérêts de Cornélia de Preux. L'ensemble de ces histoires constitue un monde à facettes, un monde bien à elle, de par sa vision des êtres et des choses (souvent symboliques), un monde tout en nuances, où le bien et le mal se côtoient, comme dans la vraie vie, sans qu'il soit possible de dire jamais que l'un aura raison de l'autre...
Contrairement au titre, il est peu vraisemblable que cet ouvrage soit le dernier de l'auteur: elle semble en effet bien en verve. En tout cas ce serait bien dommage pour le lecteur qui ne peut souhaiter que l'expression prenne tout son sens et le laisse sur sa faim...
Francis Richard
La fin des haricots, Cornélia de Preux, 144 pages, Plaisir de Lire
Livres précédents:
Le chant du biloba, 216 pages (2016)
L'aquarium, 152 pages (2012)