Le chiffre 8, 发, dans la symbolique chinoise, signifie faire fortune, s'enrichir...
Et le chiffre 88, 拜拜, que l'on place à la fin d'un SMS, au-revoir, autrement dit...bye-bye.
1958
Le 19 mars, j'ai eu sept ans, l'âge que l'on dit de raison. En septembre je vais à l'école des garçons et je rencontre le premier jour des classes mon premier véritable ami, Jean-Luc K., que j'ai un peu perdu de vue ces temps mais qui reste mon plus vieil ami.
Pendant deux années scolaires et un tiers (du troisième trimestre de l'année scolaire 1955-1956 à juin 1958), je suis allé à l'école des filles, le Cours Dupanloup, tout proche, également à Boulogne-Billancourt, où ma soeur aînée m'a précédé et où mes soeurs cadettes me succéderont.
Mais, maintenant, je suis un grand. Je quitte l'univers mixte des petites filles et des petits garçons pour l'univers unisexe des sales galopins.
De toute façon je connais encore l'univers mixte à la maison puisque j'ai trois soeurs; la troisième est tout juste arrivée en janvier...
Je ne sais pas que j'en ai pris pour huit ans à l'École Notre Dame de Boulogne, devenue aujourd'hui, par la grâce de l'État, un lycée.
Je ne sais pas non plus que le germe libéral me sera inoculé quand mon professeur de français-latin de troisième sera viré par l'État, faute de diplôme, une fois l'école passée sous contrat...
Depuis 1965, je suis au Lycée Henri IV, un lycée prestigieux dans lequel j'ai été accepté à la suite d'un examen écrit.
Cette année 1965, mon père va bientôt avoir cinquante-neuf ans. Il me demande - je n'ai que quatorze ans - si je veux bien prendre sa suite à la tête de l'entreprise familiale.
Mon père est riche, pas mal riche même (j'apprendrai que sa plus grande richesse est son intelligence des êtres et des choses...). Bien que mes goûts personnels me destineraient plutôt aux lettres, j'accepte (le goût du lucre, certainement, déjà...), ce qui veut dire que je dois faire des études dites scientifiques...
Pour mettre toutes les chances de mon côté, mon père, qui connaît le proviseur d'Henri IV, me le fait rencontrer un dimanche après-midi de printemps.
Le lendemain matin, je passe l'examen - je n'ai pas le temps de stresser - et je suis le seul reçu sur les quelques deux cents candidats, avec un élève de troisième du lycée que cet examen rattrape...
1968
Pendant trois ans je vais donc apprendre à devenir un bon élève scientifique.
Tant bien que mal je le deviens, mais je reste d'une timidité maladive: toujours la peur de dire des bêtises, qui m'a empêché de dire un seul mot à mes parents avant mes quatre ans... Je préfère d'ailleurs toujours, et de loin, l'écrit à l'oral. Manque de chance, cette année-là, très particulière, le bac est entièrement oral.
Le littéraire contrarié refait surface: j'ai des notes mirobolantes dans les matières littéraires: en français, en philosophie, en anglais, en allemand, en histoire-géographie, et des notes catastrophiques dans les trois matières scientifiques: mathématiques, physique, sciences naturelles, où les coefficients sont les plus forts...
Résultat: j'ai mon bac C, bien sûr, malgré tout (la natation m'a donné des points supplémentaires...), mais, sans mention, je ne suis pas admis en prépa. Je dois quitter le lycée... et c'est ainsi, qu'après quelques péripéties, je me retrouve à l'École Polytechnique de l'Université de Lausanne...
1978
Mon père, après que lui et moi avons passé seulement trois ans ensemble à la direction de l'entreprise familiale, décide de prendre sa retraite à soixante-douze ans, à compter du 1er janvier 1979...
Au Tribunal de Commerce de Paris, pour devenir mandataire social, on me demande un extrait d'acte de naissance. Or je suis né le 19 mars 1951 à Uccle, Commune de l'Arrondissement de Bruxelles-Capitale, Province de Brabant, Royaume de Belgique.
Né à l'étranger, il me faut m'adresser au Service central de l'état civil du Ministère des Affaires Étrangères à Nantes. La réponse tombe le 28 novembre:
J'ai l'honneur de vous faire savoir que l'acte demandé n'a pas été retrouvé dans les registres détenus par mon service, m'écrit le Chef de cette administration.
En clair: ma naissance n'a pas été transcrite sur les registres consulaires de France en Belgique et je ne suis donc pas français, alors que j'ai accompli mon service national d'un an...
Après quelques péripéties juridiques et administratives, je deviens tout de même français...
1988
Si je ne suis pas un héros, ni un saint, je suis catholique, de tradition, notamment maternelle (le frère de ma mère est prêtre): personne n'est parfait...
Cette année 1988 est la dernière où les catholiques de tradition font ensemble, à la Pentecôte, le pèlerinage de Paris à Chartres.
C'est le deuxième pèlerinage, après celui de l'année précédente, que je fais avec le chapitre de Notre Dame des Armées, la chapelle de Versailles que je fréquentais quand j'y habitais avant de m'établir à Chatou.
Ma nature profonde refuse le sectarisme. Même si je garde des contacts amicaux avec ceux qui suivent alors Monseigneur Lefebvre après qu'il a consacré des évêques le 30 juin, je ne me reconnais pas dans cette mouvance qui se sépare de Rome.
Je m'y reconnais d'autant moins que je n'ai pas bien supporté les attaques dirigées par elle contre les prélats et les prêtres qui sont restés fidèles au pape et qui continuent de me guider spirituellement... Je ne trouve pas cela... chrétien.
Ces religieux, qui me guident avec bonté, ne font pas que de beaux sermons: ils prêchent d'exemple, vivent vraiment le rite tridentin et le chant grégorien, dont la beauté sublime (seule la liturgie des chrétiens orthodoxes rivalise...) me transporte jusqu'aux confins de la transcendance, si bien que je peux non pas dire que je crois en Dieu, mais que je Le sens...
Comme j'ai fait le voeu de faire une neuvaine de pèlerinages sur la route de Chartres, je vais respecter cet engagement les années suivantes (à l'exception de 1994) jusqu'en 1997, soit en tout dix pèlerinages, une de mes longues ascèses de l'époque (je ne compte pas dans ma neuvaine l'année où je n'ai fait qu'une partie du parcours...).
En 1991, j'écris un long Chant à Notre Dame, (seize quatrains) sur un rythme de Péguy, qui commence ainsi:
Nous revoici au pied de votre cathédrale.
Une année a passé, nous éloignant de vous,
Et nous tremblons de froid dans la bise qui râle
Parce que Mai l'oblige à se moquer de nous.
Nous sommes prêts à partir et à quitter Paris.
Nous n'attendons qu'un ordre et nous mettons en route.
Sur le dur asphalte nous faisons le pari
De marcher tout du long sans avoir aucun doute.
Nous savons bien pourtant ce qui lors nous attend.
Nos pieds endoloris qui se couvrent d'ampoules;
Le soleil qui nous brûle ou le très mauvais temps;
La chaleur ou le froid donnant la chair de poule;
Les chemins caillouteux succédant au bitume;
L'herbe foulée au pied par ceux qui vont devant
Et qui le lendemain suivant notre coutume
Se trouveront derrière à marcher dans le vent;
[...]
Londres cosmopolite, en 1998: au premier rang un Français (moi) et une Japonaise (Akiko), au second un Brésilien et une Kazakh
1998
En février, l'entreprise familiale est liquidée à ma demande.
Certes elle aurait pu continuer à vivoter et j'aurais pu continuer à la diriger, après l'avoir fait pendant près de vingt ans, mais le coeur n'y est plus. Je ne supporte plus le système économique et social de la France, paraît-il providentiel, que le monde entier lui envierait mais qu'il se garde bien de reproduire.
Après quelques péripéties, notamment un séjour à Londres de deux mois (pendant lesquels j'apprends à prononcer des mots de la langue de Shakespeare que j'ai lus en silence pendant des années), une recherche active d'emploi, une période pendant laquelle je suis indépendant, je m'exile en Suisse, pour respirer un air plus libre.
Fin 2000, je fais en effet la connaissance d'un patron à Lausanne, originaire du Pays Basque, qui me propose d'accompagner le développement de son entreprise (où je travaille encore, bien qu'il l'ait maintenant vendue), en m'occupant de l'administration des ressources humaines.
2008
Cette année-là, sur le conseil de mon cardiologue, j'arrête de me livrer à une autre de mes ascèses, celle du karaté-do que j'aurai pratiqué pendant quinze ans. Mon insuffisance aortique s'est aggravée depuis qu'elle a été diagnostiquée cinq ans plus tôt...
A partir du 24 mai, après quelques péripéties sur la Toile, je suis l'exemple de Michel de Poncins, qui a créé un blog sur la plate-forme Overblog, qu'il m'avait dit, à raison, facile d'emploi: j'y crée le mien, où j'ai fait paraître jusqu'à aujourd'hui plus de deux mille billets.
Si un de mes lecteurs, curieux, prend la peine de lire les premiers de ces billets et les compare avec les derniers, il se rendra compte de tout le chemin parcouru pendant ces dix ans...
Je suis un autre, ce qui est bien différent de la formule rimbaldienne (Je est un autre), et je suis le même. Je suis l'illustration même de ce que je pense intimement depuis toujours, à savoir que dans tout être humain il y a de l'inné et de l'acquis, sans qu'il soit possible de déterminer quelles en sont les parts respectives.
2018
Cette année, le 1er avril, j'aurais dû partir à la retraite. Je l'avais annoncé neuf mois plus tôt à mon employeur, mais, entre le moment de cette annonce et le terme de mon délai-congé, un incident indépendant de ma volonté s'est produit qui m'a contraint moralement à rester, jusqu'à peut-être un an de plus.
C'est pourquoi je me demande, en ce jour du dixième anniversaire de ce blog, quelle sera la rupture que devrait, en principe, augurer ce millésime en 8...
En attendant, comme je suis un homme de devoir tout autant que d'ardeur (je respecte en cela la devise que j'ai mise en tête de ce blog), je n'ose pas croire que l'actuel millésime en 8 bafouillera et que je devrais dire définitivement bye-bye à mes lecteurs...
Francis Richard