Anna Felder, née en 1937, est tessinoise. Elle a reçu cette année le Grand Prix suisse de littérature pour l'ensemble de son oeuvre, composée de romans, de pièces radiophoniques et de théâtre.
Cette oeuvre est largement méconnue du public francophone, et pour cause. Jusqu'à présent, seul son premier roman, Le Ciel est beau ici aussi (Alphil, 2014) a été traduit en français.
Le titre originel de son deuxième roman, Sous l'oeil du chat, qui vient d'être édité en français, est La disdetta. La traductrice, Florence Courriol-Seita, explique ce que ce mot veut dire:
La disdetta en italien désigne à la fois la malchance, la déveine, et l'avis d'expropriation...
Deux idées, dédite et maudite, sont donc incluses dans le titre qui préfigure ce récit subtil d'un monde en démolition fait par un chat mystérieux, mais pas seulement: ce n'est pas aussi net que chat...
Au 18 de la rue vivent, dans une maison de trois niveaux, plusieurs habitants:
Il y avait un chat, une pomme, un vieux, une radio.
Derrière, il y avait la présentatrice, Nabucco, la professeure de chant.
Quels sont les liens entre eux?
Nabucco était le fils du vieux, la professeur de chant était la femme de Nabucco, la présentatrice était la fille du vieux, c'est-à-dire la soeur de Nabucco.
Le vieux occupe le rez-de-chaussée, Nabucco et la professeure de chant le premier étage, la présentatrice la mansarde, et la couturière... un cagibi sur lequel donne la cuisine du rez-de-chaussée.
Michel Roi rend visite à la présentatrice, mais il a du mal à se tenir debout dans la mansarde. Il vient lui apporter des dossiers, puis repart, ne faisant pas partie de la famille... Personne n'est dupe.
Le chat de son oeil de sphinx observe la maisonnée, le jardin, la circulation automobile, déambule dans le quartier. Au 14 il y a la baraque des bonnes soeurs, au 16 une maison attenante.
Chacun imagine son déménagement après un dernier hiver passé ici, à l'exception du vieux qui n'a pas l'air de prendre conscience de l'avis d'expropriation et qui se satisfait de la présence du chat.
Et si le temps s'immobilisait?
Qu'est-ce qui nous empêchait d'y être plongés jusqu'au cou dans l'éternité: nous avions à la maison une femme mariée et une présentatrice, lui c'était le vieux, moi c'était le chat, il y avait Nabucco et il y avait la voiture de Michel Roi, alors pourquoi en changer?
Francis Richard
Sous l'oeil du chat, Anna Felder, 180 pages, Le Soupirail (traduit de l'italien par Florence Courriol Seita)