Tyrannie du Bien
Système de pensée et de gouvernement propre à l'empire du Bien et qui se caractérise par le refus absolu d'accepter que l'on puisse vivre, penser et se gouverner d'une autre manière que la sienne.
Voilà la définition que donne Guy Mettan de La tyrannie du Bien, dont il a fait le titre de son livre, et qui se présente sous la forme d'un Dictionnaire de la pensée (in)correcte.
Ce dictionnaire, où il excelle dans l'ironie, comprend deux chapitres. Le premier recense des mots totems de ce système de pensée et le deuxième des mots qui lui sont tabous.
La tyrannie du Bien est un de ces mots tabous, car ce système de pensée ne se présente pas comme telle. Il s'avance masqué, en douceur dans la forme si violent dans le fond.
Il appelle ce système de pensée le libéral-progressisme, encore un mot tabou de son dictionnaire, dont il donne la définition contestable (et certainement réfutable) suivante:
Doctrine officielle du parti unique de l'empire technocratique. Elle scelle la convergence du libéralisme économique et du progressisme sociétal en s'appuyant sur un individualisme poussé à l'extrême...
À travers mots totems et tabous, sans appartenir au camp du Mal, l'auteur se révèle anticapitaliste, hostile à la concurrence, au marché, au profit, donc au matérialisme dit de droite.
L'idéalisme sociétal dit de gauche ne trouve pas plus grâce à ses yeux. Aussi s'en prend-il à la cancel culture, à la déconstruction, à l'écriture inclusive, aux seules identités reconnues:
L'empire du Bien ne reconnaît que trois types d'identité: l'identité de genre, de sexe et de race. L'identité nationale, régionale, culturelle? Quelle horreur!
Pourtant Guy Mettan donne une définition juste du mot libéral (à ne pas confondre avec le même terme employé de l'autre côté de l'Atlantique et qui est un vil détournement de sens):
En principe est libéral celui qui est partisan des libertés individuelles.
Seulement il ajoute aussitôt, comme pour faire oublier que libéralisme et tyrannie sont incompatibles sémantiquement, que ce n'est pas l'acception qu'il convient de comprendre:
Le libéralisme s'est rapidement transformé en doctrine hégémonique, tentaculaire, totalitaire même en plaçant une liberté au-dessus de toutes les autres: la liberté du marché.
Cette erreur est fréquente. Pour un libéral, ce n'est pas le marché qui importe mais le respect de ses droits de propriété, i.e. d'en disposer comme il l'entend, d'où l'échange libre.
Tout homme est en effet propriétaire de sa vie, de chaque partie de sa vie. Il n'est libre que s'il peut la gérer dans tous les domaines, qui ne se limitent de loin pas à l'économie.
Quoi qu'il en soit, Guy Mettan a raison de dire p.ex. que les libertés individuelles ont été bafouées pendant la pandémie et qu'il était interdit de rien critiquer: pas libéral du tout.
Le libéral-progressisme qu'il fustige est par conséquent une imposture. Quand il lui donne ses autres noms, les vrais, il le confirme d'ailleurs: empire du Bien, empire technocratique.
Dans sa conclusion, il dévoile cette imposture en empruntant à Pierre Bourdieu sa division de la société en champs, politique, économique, académique, artistique, médiatique etc.
Or, l'empire du Bien a opéré la fusion de ces champs, au sein desquels les luttes de pouvoir donnent une illusion de pluralisme alors qu'ils s'entendent pour se partager le pouvoir.
Quand des pouvoirs politique et économique se confondent, les libéraux parlent de capitalisme de connivence et c'est bien de connivence qu'il s'agit, sur le dos de tous les autres.
Enfin, il est difficile de donner tort à l'auteur quand il dit que la propagande n'est pas une invention des dictatures mais des démocraties, depuis l'antiquité grecque et les sophistes:
Les régimes démocratiques, qui ne peuvent en principe pas recourir à la violence pour convaincre, ont en effet bien plus besoin de la propagande que les dictatures, qui n'ont pas de compte à rendre à leur opinion publique.
Alors il faut apprendre à détecter les opérations de propagande conduites par eux. Guy Mettan cite Roland Barthes pour qui la censure ne consiste plus à interdire, mais à étouffer, engluer dans les stéréotypes, à ne donner pour toute nourriture que la parole consacrée des autres, la matière répétée de l'opinion courante.
Francis Richard
La tyrannie du Bien, Guy Mettan, 256 pages, Éditions des Syrtes