- Vous avez remarqué comme là-haut, tout en haut, aucune des branches, entre les différents arbres ne se touche?
- Oui, ça crée comme des canaux. Le bleu, c'est l'eau.
- C'est un phénomène appelé la timidité. La timidité des cimes.
Cet échange est un des seuls qu'il y aura entre Luisa et un homme solitaire qui, en général, ne donne pas son nom.
Elle est une voyageuse, une femme tout récemment arrivée dans l'avenir, qui a subi des violences dans le passé.
Pour son acclimatation, elle vit dans un appartement communautaire, avec deux de ses semblables, Julia et Nadia.
Fait partie de sa thérapie de se rendre dans le parc voisin, qui est payant et l'un des derniers espaces verts de la ville.
Dans le passé, des voitures circulaient encore. C'est rare dans ce monde d'après. De toute façon Luisa ne conduit pas.
Un bruit et une lumière, chaque soir, rythment la vie de Luisa avant qu'elle ne s'endorme, le menton dans les mains.
Le bruit, c'est celui des nettoyeurs du sol: de petits triangles à trois roues et d'autres modèles, de forme humanoïde.
La lumière, c'est la lumière ultraviolette, le nettoyant que ces robots déploient pour que tout soit propre et purifié.
Luisa et l'homme sans nom se sont rencontrés dans le parc, assis sur leur banc, regardant dans la même direction.
Un jour, la première fois dans l'avenir, il lui évoquera sinon le passé, du moins la possibilité même de son existence:
Là où je suis né, et là d'où je viens, ce n'est pas exactement la même chose. C'est un peu comme un arbre: on le voit jusqu'au sol, là où il est né; on voit le morceau de terre d'où il est sorti, mais après, il y a les racines.
Leurs chemins se sépareront. Lui, l'infâme, qui n'avait pas voulu laisser de traces de son passé, en laissera chez Luisa:
Convoquer sa présence, par moments, semblait abolir les frontières.
Francis Richard
Timidité des cimes, Maxence Marchand, 80 pages, La Veilleuse