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31 mars 2025 1 31 /03 /mars /2025 19:55
Un homme seul, de Frédéric Beigbeder

La France venait d'être libérée quand mon père fut enfermé. En octobre 1946, sa famille l'a banni au pensionnat de Sorèze, derrière de hauts murs dans la Montagne Noire, à l'âge de huit ans.

 

Ainsi commence le livre, écrit en 2023-2024, que Frédéric Beigbeder a consacré à son père, né en 1938 et décédé en 2023. 

 

L'auteur en veut à ses grands-parents de l'avoir banni à Sorèze, cette abbaye-école, qu'il a visitée, ce qui l'a mis en colère contre eux:

 

Cette incarcération l'a cadenassé pour toujours.

 

Ce n'est qu'après avoir vu dans son cercueil un homme responsable, apaisé qu'il a pu enfin faire plus ample connaissance avec lui.

 

Jean-Michel Beigbeder est enterré le 3 octobre 2023 au cimetière de Guéthary, où se trouve déjà la tombe de Paul-Jean Toulet 1.

 

Après sa mort, l'auteur entreprend de reconstituer la vie de son père, pleine de zones d'ombre et de mensonges, de déni et de silences:

 

Jamais je n'aurais osé écrire ce livre de son vivant.

 

Il revient au commencement, à Sorèze, parce que c'est en ce lieu que, conditionné à la survie en milieu hostile, son caractère s'est fermé:

 

Jean-Michel est devenu un humain claquemuré.

 

En 1950, Jean-Michel est envoyé en Suisse dans un internat, à Fribourg, la villa Saint-Jean, où les religieux n'étaient pas plus tendres.

 

Après, Jean-Michel est allé au lycée Louis Barthou de Pau où il a fait la connaissance salutaire de l'abbé Sahuc, ancien missionnaire en Asie.

 

En 1956, il abandonne subitement ses études littéraires, entreprises pour préparer Normale Sup, une maîtrise de droit et Sciences-Po Paris.

 

Il fait en effet un tour du monde, seul, à dix-huit ans, et s'évade à bord d'un paquebot pour le Nouveau Monde, où sa famille a des contacts.

 

Après une traversée des États-Unis, il se rend en Extrême-Orient, en Inde où il est battu et rançonné, enfin à Marseille, en passager clandestin...

 

Après sa mort, l'auteur découvre des secrets de son père en utilisant le mot de passe trouvé dans son portefeuille lui donnant accès à son ordinateur...

 

De même accède-t-il aux archives de son père, qui contiennent deux écrits pendant ses études américaines, de 1960 et 1962, lesquels révèlent:

 

Un jeune homme désespéré.

 

Jean-Michel entre, en 1963, à Zurich, chez Spencer Stuart, un cabinet de chasseur de tête, métier où il excellera et qui est décrit par le menu. 

 

Jean-Michel le dirigera pendant 21 ans avant de le racheter à son fondateur, puis de vendre ses parts pour racheter un concurrent, Korn Ferry.

 

Il créera son cabinet en 1986, Beigbeder, Caude & Partners. Les Échos l'étiquetteront pour la vie: Beigbeder, le pape des chasseurs de tête.

 

Un des intérêts de cette biographie se trouve justement dans la description très documentée de cette activité qui s'apparente à l'espionnage:

 

Personne ne le savait dans la famille, mais mon père ne s'appelait pas seulement Jean-Michel Beigbeder. Il possédait aussi deux passeports américains 2 au nom de "William Harben Carthew". 

 

L'auteur assure qu'il ne fantasme pas quand il fait de son père un espion, qui n'avait certes pas le permis de tuer mais a dû rendre des services.

 

Pour ce récit, il s'appuie sur ce qu'il a écrit lors d'un voyage que lui et son frère ont fait, en 1976, avec Beigbeder-Bond, ce célibataire et séducteur.

 

Il s'appuie également sur le carnet d'adresses de son père qui en dit long sur ses nombreuses relations et qui semble contredire le titre.

 

Pourtant, à la fin du livre, il persiste et signe: Mon père fut l'homme le plus seul du monde, ajoutant toutefois, comme pour corriger ses dires:

 

Au ciel, il ne sera plus jamais seul. Je suis heureux pour lui et triste pour moi parce qu'à partir de ce jour, l'homme seul, c'est moi.

 

Il tient enfin à modérer sa colère envers ses grands-parents. Le lecteur intéressé par cette vie hors normes comprendra pourquoi in fine:

 

On a le droit d'exiler ses enfants en pension, à condition d'avoir auparavant sauvé une jeune fille en chemisier à pois blancs. 

 

Francis Richard

 

1 - Voir mon article du 1er janvier 2010.

2 - L'un d'eux est reproduit sur le bandeau du livre.

 

Un homme seul, Frédéric Beigbeder, 224 pages, Grasset

 

Livres précédemment chroniqués:

 

Un roman français (2009)

Oona et Salinger (2014)

Une vie sans fin (2018)

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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