Le 9 novembre 1989 le mur de Berlin tombait et avec lui, croyait-on, les dernières illusions que les hommes plaçaient dans cette idéologie funeste et meurtrière qu’est le
communisme. Vingt ans plus tard – même si l’idéologie et, surtout, le système ont été mis à mal après la chute de la maison-mère moscovite en 1991 – un certain nombre de pays restent
cependant sous son joug, à savoir la Chine, la Corée du Nord, Cuba, le Vietnam…ce qui représente tout de même environ un quart de l’humanité.
De plus il y a encore des intellectuels et des hommes qui défendent le communisme, intrinsèquement pervers selon le Pape Pie XI, sous les vocables inusables de socialisme ou de marxisme,
et éprouvent de la nostalgie à son égard, bien qu’il ait échoué partout à rendre la vie ne serait-ce qu’un peu meilleure. D’aucuns regrettent même de n’avoir pas eu l’ineffable bonheur de
l’avoir vu appliquer chez eux.
Il est donc toujours nécessaire d’étudier le communisme et plus particulièrement ce qui fait de lui un totalitarisme criminel qui, comparé au nazisme – à qui il a servi d’exemple –,
est bien plus efficace et plus performant puisqu’il a duré au moins – dans sa version soviétique – soixante-quatorze ans contre douze, qu’il lui a survécu, qu’il a fait bien plus de victimes au
total et continue d’en faire, et, surtout, qu’il séduit encore des esprits peut-être remarquables, mais assurément intellectuellement égarés.
Il y a douze ans, sous la direction de Stéphane Courtois, ancien maoïste, paraissait un livre qui devait connaître un formidable retentissement – 25 traductions, 1 million d’exemplaires –,
Le livre noir du communisme. Ce que ce livre disait sur le crime de masse, comme moyen de gouvernement et de maintien en place du système par la terreur, caractéristique de tous
les pays communistes, était déjà pourtant parfaitement connu, de même que les ordres de grandeur du nombre de ses victimes, soit des dizaines de millions.
La grande nouveauté était que ses auteurs étaient du sérail et qu’ils avaient été nourris au sein palpitant de la gauche universitaire française. Ce qu’avaient dit avant eux des historiens
sérieux et documentés grâce aux exilés, aux bannis et aux dissidents, qualifiés – malgré qu’ils en aient – de réactionnaires par l’ensemble des médias aux mains de la gauche bien-pensante, était
considéré au mieux comme quantité négligeable, au pire comme propagande fasciste qu’il fallait à tout prix combattre et dénigrer, mieux, diaboliser.
Certes Le livre noir du communisme n’a pas échappé aux controverses. L’université française régentée par une majorité de marxistes depuis la Libération ne pouvait pas accepter sans
réagir ce qu’elle considérait comme un brûlot, qui avait le grand tort de mettre au jour, implacablement, documents à l’appui – il y avait eu une ouverture des archives ex-soviétiques –, la
dimension criminelle indéniable et monstrueuse du communisme, qu’il était toujours impensable alors, donc interdit, de comparer au nazisme.
Il n’empêche que les faits sont têtus, comme disait le camarade Lénine, et qu’en conséquence les révélations faites dans ce livre ont fini, au sein de l’université française, par
discréditer le communisme pratiqué sur la planète, même si, comme je le rappelais, le travail de désintoxication intellectuelle est loin d’être achevé, puisque le communisme reste en quelque
sorte idéalisé et que d’aucuns tentent vainement de distinguer la réalité communiste d’ un idéal communiste qui aurait été dévoyé.
Communisme et totalitarisme de Stéphane
Courtois, inédit publié par les Editions Perrin (ici), dans leur collection
Tempus, poursuit justement ce travail de désintoxication intellectuelle. Constitué de communications faites par l’auteur depuis la parution du Livre noir
il en est la suite, enrichie d’éléments nouveaux découverts à la faveur du dépouillement des archives ex-soviétiques et de la publication d’archives privées, sorties de l’ombre des pays
ex-communistes.
Citant actes et écrits du tyran, l’auteur montre que Lénine n’était pas le gentil révolutionnaire que les communistes impénitents opposaient volontiers, pour se dédouaner, au méchant
Staline, après le « Rapport secret » de Khrouchtchev, suivi de la révolution matée de la Hongrie, en 1956 (le « Rapport secret » dont les buts étaient
l’autoamnistie et l’amnésie, devait en fait ébranler le mythe du communisme comme représentant le Bien). Le second était bien l’héritier spirituel du premier. Il n’en était que le prolongement
durable, l’aboutissement logique et, en quelque sorte, le parfait accomplissement.
Dès le 7 novembre 1917 le totalitarisme communiste se met en place, au moyen de la terreur de masse, c’est-à-dire que le régime s’attribue, dès le début, au prix de massacres dont
l’intentionnalité est maintenant corroborée par les archives, « les monopoles du parti unique, de la pensée, des moyens de production et de
distribution ».
L’idéologie révolutionnaire et communiste, qui a commandé la conduite des tyrans soviétiques successifs, était constituée « en doctrine par Lénine et en vulgate
par Staline (…) Dans chaque conjoncture, [elle] a pesé sur les choix dans le sens de la « dictature du prolétariat » et d’un projet totalitaire de plus en plus affirmé, et contre la
légitimité traditionnelle, et contre la légitimité démocratique ».
L’accès, pourtant partiel, mais significatif jusqu'en 1994, aux archives ex-soviétiques qui, selon l’auteur, sont admirables – parfaitement conservées et classées –, lui a cependant permis de
dresser un portrait du successeur testamentaire et immédiat de Lénine, qui n’est pas le moins du monde conformiste et qui serait plutôt flatteur si les crimes innombrables – et inévitables,
puisque systémiques – de son règne n’en assombrissaient pas le tableau:
« Ni rêveur, ni exalté, mais fanatique réaliste, [Staline] mesurait au plus près les rapports de force et ne s’engageait qu’à coup sûr, même s’il sut, à
l’occasion, faire preuve d’une formidable audace. Il a imposé à l’ensemble du monde communiste un régime qui lui a survécu une quarantaine d’années. Il a hissé au rang de superpuissance une URSS
devenue matrice idéologique et politique d’un système communiste mondial ». Ce qui conduit l’auteur à dire qu’en matière de totalitarisme Staline, aussi fanatique que lui, a
largement surclassé Hitler « qui, par comparaison, fait figure d’amateur, voire de dilettante ».
Dans Communisme et totalitarisme Stéphane Courtois développe, dans plusieurs chapitres, de manière convaincante la comparaison tabou entre communisme et nazisme. Il résume en ces termes
ce qui a poussé Hitler comme Staline à exterminer :
« Ces deux systèmes de pensée et de pouvoir, nazi et communiste, plaçaient bien au centre de leur vision du monde l’image de « l’ennemi ». Un
ennemi qui n’avait rien à voir avec l’adversaire politique traditionnel : un ennemi absolu, irréductible, qu’il faut exterminer pour survivre ».
Qui est cet « ennemi total » ?
« C’est, chez Hitler, le « judéo-bolchevik » qui, après la liquidation des communistes en 1933-1934, deviendra le seul Juif ; chez Lénine et ses
successeurs, le « capitaliste » ou le « koulak », bref le « bourgeois » dont la haine a été, comme l’a très bien montré François Furet, l’un des moteurs
essentiels des mouvements totalitaires ».
Stéphane Courtois va encore plus loin dans la comparaison entre communisme
et nazisme, puisque se référant à la définition du génocide faite par Rafaël Lemkin, et au livre de Gracchus Babeuf sur le génocide vendéen, révélé par Reynald Secher,
il en arrive à parler de « génocide de classe » chez Lénine et successeurs, comparable au « génocide de
race » chez Hitler, tous deux relevant d’un délire, « mais d’un délire logique, construit sur une idéologie et mis en œuvre à la faveur d’une
conjoncture ».
Ces deux sortes de génocides reposent tous deux sur une pseudoscience, marxiste-léniniste chez Lénine, raciale chez Hitler, aux mises en œuvre similaires : désignation de groupes-cibles,
stigmatisation de ces groupes, ségrégation symbolique puis effective (privation d’emploi, de logement etc.), exclusion sociale, spoliation, expulsion des villes, emprisonnement, déportation,
extermination. Ils visent tous deux à réaliser une utopie : l’un, la société sans classe, l’autre, la race pure. Ils diffèrent cependant par les techniques employées pour
exterminer :
« En matière d’extermination, le régime bolchévique n’a jamais utilisé la forme industrielle de la chambre à gaz mise en œuvre par les nazis à partir de
l’automne 1939 contre les handicapés physiques et mentaux, puis à partir de 1942 contre les Juifs. Mais il a abusé de la fusillade et de la famine ».
Le premier génocide de classe a été perpétré en 1919-1920 sur ordre de Lénine contre les Cosaques du Don et du Kouban:
« Au total, entre 300 000 et 500 000 personnes furent massacrées ou déportées sur une population de 3 millions d’habitants ».
Il devait être suivi, dès 1929-1930, de plusieurs vagues génocidaires, ordonnées par Staline, jusqu’à la mort de ce dernier, dont la famine en Ukraine au « caractère volontaire, prémédité et organisé », de l’automne 1932 au printemps 1933, soit en 9 mois, devait provoquer la mort de 4 à 5 millions de personnes,
« dont une part importante d’enfants ».
Parmi les génocides de classe, qui sont une spécialité communiste, celui perpétré au Cambodge contre le « peuple nouveau » a eu pour résultat
l’extermination du quart de la population et de la moitié du groupe-cible. Une performance inégalée, même par la Chine « populaire » de Mao.
De tous ces crimes organisés par des communistes, il est encore difficile de parler. On préfère célébrer la chute du mur de Berlin, sans trop s’appesantir sur ce qui se passait réellement
derrière et, d’une manière générale, derrière le rideau de fer. Dans Communisme et totalitarisme Stéphane Courtois, relatant l’échec de la recommandation présentée le 26 janvier 2006,
devant le Conseil de l’Europe, destinée à organiser un débat international sur les crimes commis par les régimes communistes, pose la question essentielle :
« Afin de ne pas chagriner quelques milliers de démocrates fourvoyés dans le communisme, faut-il oublier les millions de victimes ? »
Francis Richard
Nous en sommes au
477e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani, les deux otages suisses en Libye