Dans mes lectures des premiers romans, cuvée automne 2012, la série noire continue. Il faut croire que la génération des écrivains d'aujourd'hui est hantée par la maladie, par la mort.
Pour que le lecteur n'ait aucun doute sur la noirceur du propos du premier roman d'Olivier Vanghent, l'éditeur a choisi une couverture de circonstance et, en quatrième de cette couverture de deuil, il nous précise l'origine du titre:
"Entre-sort, subst. masc.: Baraque foraine dans laquelle on expose des monstres.
Roman-baraque, L'Entre-sort donne à voir les monstres de notre société: un homme et une femme, simplement."
Bien que tout cela ne soit guère engageant, le lecteur doit tout de même habiter dans cet entre-sort, l'espace de deux à trois heures tout au plus.
Lui est dans un état pitoyable, à la suite d'un accident. Il est tout couturé, de haut en bas. Ses "yeux seuls parviennent encore à se mouvoir". Il ne veut pas savoir ce qui l'a conduit dans cet hôpital:
"Je ne souffrirais pas être responsable de mon malheur. Je ne tolérerais pas plus qu'un autre en fût la cause."
Le lecteur n'en saura pas plus sur la cause, s'il est mis au courant des effets. Car lui ne lui épargne aucun de ses tourments. L'hôpital (où il gît sur une "couche que l'on borde et déborde pour" lui "donner l'illusion d'un devenir")?
"L'enfer, c'est ici. Auprès de ces infirmières qui n'ont d'angélique que la couleur de leur blouse, de nimbe que sous les bras."
Elle, sa femme, est à côté de lui. "Elle écoute et transcrit". Mais il sait trop bien qu'elle est "empêchée de vivre", du seul fait qu'il n'est pas mort:
"Sur mon lit d'hôpital, elle se sent obligée. Elle me regarde. Elle tient ma main molle. L'infirmité est un supplément d'intimité. Je tousse un vas-t'en. Elle souffle un chéri. Elle sourit. Elle me regarde. A force de contenir ses larmes, elle se noie."
Elle comprend qu'elle doit le tuer, qu'il le veut. Elle le fait donc avec les moyens du bord: "une lime à ongles, un coupe-papier", sortis de sa trousse de beauté. Mais elle est affligée de l'avoir fait par obéissance, comme toujours:
"J'aimerais l'avoir tué sans qu'il m'en ait soufflé l'idée, sans qu'il m'en ait donné l'ordre. J'aimerais l'avoir tué par amour, rien que par amour."
Elle part en cavale, mais elle finit par être rattrapée et mise en prison.
La vie en prison n'est pas plus gaie que la vie en hôpital. L'auteur ne nous épargne aucun des détails qui caractérisent les centres de détention de femmes, qui ne valent pas mieux que ceux où les hommes croupissent. C'est une école. Elle y éprouve dès le début "la nécessité d'un nouveau crime":
"Le seul qu'il me soit donné de commettre ici est impuni, quoique illustre, le crime parfait: tuer le temps."
Tout cela ne peut que mal finir et finit mal. Le lecteur peut être rassuré. Parce qu'il n'y a pas que le temps à tuer dans une cellule pas plus grande que sa chambre d'hôpital à lui:
"Nous sommes entrés dans le monde par un cri. La vie aura permis d'en sortir avec des mots, qui ne sont jamais les mêmes, sont les seuls, peut-être, les derniers, qui nous distinguent vraiment."
Un entre-sort, plus généralement que dans la définition donnée en quatrième de couverture, c'est un lieu où l'on entre et d'où l'on sort rapidement. Dans ce livre on y entre et en sort rapidement.
Ce, non pas parce que l'on a envie d'en finir avec les deux prétendus monstres, qui ne le sont peut-être pas tant que ça en définitive - ils sont humains, trop humains -, mais parce qu'en dépit de ces sujets morbides, le lecteur n'a aucun mal à vite avaler ce volume, sans déglutir, favorisé dans cette absorption par une expression parfois violente, certes, mais toujours fluide.
Francis Richard
L'entre-sort, Olivier Vanghent, 152 pages, L'Age d'Homme