Très intéressant le dossier du dernier numéro de L'Hebdo, daté du 2 février 2012, sur la téléphonie mobile en Suisse.
L'hebdomadaire romand parle de pseudo-concurrence à propos de Sunrise et d'Orange, face à la position dominante de Swisscom. Et il a raison ici.
La position dominante de Swisscom n'est pas tant celle de ses parts de marché en terme de nombre de clients. Certes Swisscom a 59,4% de ce marché, Sunrise 20,7% et Orange 15,5%. Mais, après tout, il est des marchés où le leader occupe une telle place sans que pour autant les autres acteurs ne doivent se contenter de faire de la figuration.
Or Sunrise et Orange ne peuvent pas lutter. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Le chiffre d'affaires net de Swisscom est de 8'566 millions de francs contre un chiffre d'affaires net de 2'052 millions pour Sunrise et 1'295 millions pour Orange.
Si on rapporte le chiffre d'affaires aux parts de marchés, on obtient en effet des ratios très différents :
- Swisscom : 144,21 millions par %
- Sunrise : 99, 13 millions par %
- Orange : 83,55 millions par %
Ce qui se traduit par un EBITDA (résultat d'exploitation avant amortissement) en % du chiffre d'affaires net nettement plus favorable à Swisscom qu'à ses deux concurrents :
- Swisscom : 44,4 %
- Sunrise : 26,4%
- Orange : 26%
Les prix de Sunrise et d'Orange sont-ils plus bas que ceux de Swisscom ? Oui, mais ils restent très élevés en comparaison européenne...
Sunrise et Orange peuvent-ils encore baisser leurs prix ? Non, parce qu'ils doivent payer très cher les infrastructures appartenant à Swisscom qui est toujours une société appartenant majoritairement à la Confédération, en dépit de la pseudo-libéralisation effectuée il y a maintenant dix ans.
Résultat : Swisscom peut investir 2 milliards chaque année tandis que ses concurrents ne peuvent faire de même. De toute façon ils "n'osent pas agresser le numéro un, de peur de provoquer une riposte trop douloureuse".
Comme le confie Oliver Steil, le patron de Sunrise, à L'Hebdo :
"Les moyens de régler le problème existent. Le prix du dégroupage (accès au fil de cuivre vendu par Swisscom aux autres opérateurs, ndlr) est par exemple un levier qui peut permettre de faciliter la vie des challengers - à condition de le vouloir. Quand on choisit de faire payer 5 ou 15 francs pour l'accès au fil de cuivre - que Swisscom a déjà amorti - on décide d'une distribution du profit, plutôt du côté de l'acteur historique ou des concurrents."
C'est en définitive les consommateurs qui payent le privilège dont bénéficie Swisscom et ils le payent au prix fort. Si en Italie les consommateurs paye en moyenne 10 centimes la minute de communication, en Allemagne ou en France 14 centimes, en Suisse ils la payent 23 centimes...
Christian Petit, responsable de la clientèle privée de Swisscom, lâche cette énormité à L'Hebdo:
"Nous pourrions théoriquement jouer ce jeu [de la guerre des prix]. Mais ce serait dangereux, car
le régulateur interviendrait alors sans doute et ce n'est pas ce que nous souhaitons."
Eh oui, le marché suisse de la téléphonie mobile est d'autant moins un marché libre que l'Etat, juge et partie, le régule via la Comco (Commission de la concurrence). La régulation du secteur, selon Vincent Martenet, président de cet organisme étatique, "est très importante, car c'est elle qui, en fin de compte, permet de fixer un cadre aux acteurs du marché et de les discipliner".
Sans commentaire.
Le même organisme, qui administre une économie prétendument libre, a empêché la fusion de Sunrise et d'Orange il y a quelque deux ans, pour préserver la concurrence... Rendez-vous compte, Swisscom aurait pu encore perdre des parts de marché et une baisse du prix des communications aurait été rendue possible... Ce qui aurait fait le bonheur des consommateurs. Mais qui se soucie de ces derniers ? Tous pigeons, comme dit L'Hebdo.
Francis Richard