Claude Guéant, dont la photo provient d'ici, ministre de l'Intérieur français, s'adresse le 4 février 2012 à un auditoire d'étudiants français membres du syndicat de droite, l'UNI. Ses propos sont destinés à cet auditoire circonscrit.
Il ne tient pas de propos polémiques, mais des propos qui devraient même plaire à la gauche française. C'est compter sans le terrorisme intellectuel, qui, chez elle, est comme une seconde nature.
Un morceau de phrase du ministre, complètement isolé de son contexte, va être utilisé pour fabriquer une petite phrase, destinée à diaboliser cet adversaire à quelques semaines des présidentielles :
"Toutes les civilisations ne se valent pas."
Le Parisien en ligne du 5 février 2012, c'est-à-dire dès le début, a pourtant situé cette phrase dans son contexte ici :
"Dans son discours samedi, Claude Guéant a appelé à "protéger notre civilisation" et s'en est pris à la gauche. "Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas", a déclaré le ministre également chargé de l'Immigration. "Celles qui défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient", a-t-il argumenté, ajoutant: "celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique"."
Ce sont des propos auxquels la gauche française devrait souscrire sans difficulté. Ils sont en phase avec les valeurs qu'elle prétend depuis toujours défendre haut et fort. Deviennent-ils faux par le seul sortilège qu'ils sont tenus par un adversaire politique ?
En ne retenant que ce qui l'arrange pour créer la polémique, le monde politique de gauche va déformer les propos du ministre :
"En affirmant la supériorité de notre civilisation sur les autres, Claude Guéant révèle une fois encore la dérive d'une droite en perdition, prête à tous les abandons pour préempter le fonds de commerce du Front National" déclare aussitôt Bernard Cazeneuve, porte-parole de François Hollande.
Chez cet érudit, race et civilisation c'est vraisemblablement tout comme... Or Claude Guéant ne parle pas de races supérieures, comme le grand ancêtre républicain, Jules Ferry, dans un autre contexte sémantique. Il considère comme supérieures les civilisations qui défendent l'égalité à celles qui acceptent la tyrannie. En quoi est-ce une dérive pour un socialiste ?
Cécile Duflot, Secrétaire nationale d'Europe Ecologie Les Verts, écrit :
"Retour en arrière de 3 siècles. Abject."
Si je compte bien, trois siècles en arrière cela donne 1712, la naissance de Jean-Jacques Rousseau... Quel rapport ? Trois siècles en arrière cela n'a rien à voir avec le sujet, mais c'est antérieur à la Révolution, à la devise liberté, égalité, fraternité, dont Guéant s'est justement réclamé. C'est donc faire un contre-sens historique complet de ce qu'a dit le ministre.
SOS Racisme communique :
"Si ces derniers [propos], très graves, avaient été bel et bien tenus par le ministre de l'Intérieur en fonction, ils marqueraient une nouvelle étape dans une dérive vers des extrêmes inacceptables, structurés notamment par des logiques d'infériorisation de l'Autre."
Le porte-parole de Hollande parlait de dérive. L'organisation, qui a fait de l'anti-racisme son fonds de commerce, précise de quelle dérive il s'agit, d'une dérive vers des extrêmes inacceptables . Ah bon ? Claude Guéant considère pourtant que les civilisations qui défendent l'égalité - le contraire de l'infériorisation de l'Autre - sont supérieures à celles qui acceptent la haine sociale ou ethnique...
Le comble a été proféré aujourd'hui à l'Assemblée nationale française par le député apparenté socialiste Serge Letchimy ici :
"Montaigne disait « chaque homme porte la forme entière d'une humaine condition ». J'y souscris. Mais vous, monsieur Guéant, vous privilégiez l'ombre. Vous nous ramenez jour après jour à des idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration au bout du long chapelet esclavagiste et coloniale."
Au fur et à mesure que grossit cette polémique, montée de toutes pièces, l'interprétation de gauche, exactement à l'opposé des propos tenus, est passée de la "dérive d'une droite en perdition" à "la dérive vers des extrêmes inacceptables" en passant par un "retour en arrière de 3 siècles" pour aboutir "aux idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration".
Bref la gauche française ne sort pas grandie de cette polémique contre Claude Guéant. Car, ou bien elle ne comprend pas les propos qui ont été tenus par le ministre, ou bien elle est malhonnête intellectuellement. Dans les deux cas, elle ne donne pas envie...
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord disait que "tout ce qui est excessif est insignifiant". En l'occurrence c'est très signifiant.
Francis Richard