
Pierre-Auguste Renoir est né en 1841. Les oeuvres exposées au Grand Palais sont donc celles de la maturité de l'artiste - il a dépassé la cinquantaine - dont la singularité, après qu'il a tâtonné, a fini par émerger et par le distinguer des autres artistes de son époque. Précédemment il s'est encore inspiré d'Ingres, en adoptant des traits plus nets. Mais il n'était pas vraiment lui-même et il lui fallut, pour se retrouver, concilier la douceur de l'impressionniste qu'il avait été avec le tracé d'un dessin plus affirmé, tout en demeurant souple.
Pendant ce dernier tiers de vie, il peint de moins en moins de paysages qui ne sont plus, à quelques exceptions près - Les vignes à Cagnes, par exemple - que des décors pour ses figures ou pour ses nus. Au peintre de plein air succède de plus en plus le peintre d'atelier. Rhumatismes obligent d'ailleurs.

Il en est ainsi de Gabrielle Renard, la nourrice de ses enfants, qui restera jusqu'en 1914 au service de la famille [ci-contre Gabrielle à la rose provenant du site pierre-auguste-renoir.org ici, où 1247 tableaux de Renoir sont reproduits...].
Je ne sais si toutes ces figures peintes par Renoir reproduisent fidèlement leurs modèles, mais je leur trouve à toutes une ressemblance, comme si Renoir les recréait en quelque sorte à son image.

En tout cas ces rondeurs se retrouvent dans les quelques sculptures que Pierre-Auguste Renoir a réalisées avec Richard Guino, qu'il s'agisse de la Venus Victrix ou de La Grande Laveuse, qui sont présentes ici, chacune en petit et en grand format. Ces rondeurs se retrouvent également dans des sanguines, qui lui servent d'études pour ses tableaux comme La Coiffure.
Le 23 novembre 1915, Sacha Guitry présentait au Théâtre des Variétés un film intitulé Ceux de chez nous, où l'on voit, entre autres, Renoir peindre avec les yeux, que suivent sur la toile ses pauvres mains déformées par la polyarthrite. Les organisateurs ont eu la bonne idée, au détour d'une salle, de mettre en boucle l'extrait de ce film muet, où le maître crève littéralement l'écran, sans un son, sans les commentaires de Guitry qui le précèdent et qui l'accompagnent en voix off dans la version de 1952 du film. Il est possible de trouver l'extrait sonore de cette scène vivante sur YouTube :
Jean-André Widmer, président des Dissidents de Genève (ici), regardera certainement avec nostalgie ce passage où l'un des plus grands peintres français tire sur sa cigarette avec bonheur et enfume un
entourage ravi de cette émanation chaude et conviviale. C'était un heureux temps, un temps où la fumée passive ne tuait pas encore, il y a près d'un siècle, avant la Prohibition que nous
connaissons, tentation totalitaire, et planétaire, à laquelle le canton du Jura est bien le seul, en Helvétie, à n'avoir pas succombé, grâce lui soit rendue
(ici).
Pierre-Auguste Renoir ne théorise pas. Il peint. Il aura même fait surtout cela, tout au long de sa vie, chaque jour que Dieu fait. Comme dit Anne Distel, dans son
livre Renoir (ici), il embellit. Il transpose la réalité et lui donne couleurs éclatantes,
lumières et en même temps douceur, dessin esquissé tout juste par le pinceau. Renoir ne dit-il pas un jour:
Un tableau doit être une chose aimable, joyeuse et jolie, oui jolie!
Dans le même esprit Molière n'avait-il pas pour règle des règles celle de plaire? Cette conception de l'art est cruellement absente de l'art contemporain. Avec les résultats
bien souvent décevants que l'on sait.
Francis Richard