Le roman est décidément un genre qui échappe à toute définition.
Le livre de Stéphane Blok, Le Ciel identique, est un roman. Mais il l'est par défaut. En effet, de par sa longueur, il pourrait être une nouvelle. Et pourtant, cela ne tient pas la route.
Certes il ne comporte pas plus de nonante pages et nombre d'entre elles sont loin d'être noircies de mots, mais il n'est pas condensé comme une nouvelle devrait l'être, en principe. Au contraire il serait plutôt expansé, comme s'il était la caisse de résonance des trois questions ouvertes que représentent ses trois chapitres et ses trois épilogues en un seul.
Comme c'est bien une oeuvre de fiction, il n'est pas d'autre genre que le roman qui puisse lui être attribué. Comme l'esprit humain a besoin de catégoriser pour se rassurer, il affuble un qualificatif accolé au mot roman pour lui trouver une identité. Et celui qui vient au même esprit humain, en l'occurrence, pourrait bien être poétique. Ce qui tombe bien puisqu'il est suivi de quelques poèmes, intitulés Chants entre les immeubles.
Trois chapitres, trois personnages, Aurélie, Silverio et Marc. Sous le même ciel. Les deux premiers proches. Ils se croisent même à un carrefour de la ville. Le troisième, plus loin, dans une vallée, se trouve sous la pluie depuis onze jours.
Aurélie n'a pas dormi. Elle vient de quitter deux hommes. Les trottoirs sont mouillés, mais le ciel est bleu. Elle déambule dans la ville, après avoir pris un café et un verre d'eau dans un établissement. Elle se dévêt un peu, parvenue au bord du lac. Chemin faisant elle a vu cette scène:
"Un jeune homme en veste de cuir beige traverse au rouge le passage clouté tandis que deux femmes, cabas en main, attendent que le feu passe au vert. [...] Deux pigeons se suivent sur le pavé taché."
Silverio est sur le départ. Il essaie de ne rien oublier. Il prépare ses affaires, tout en accomplissant les tâches quotidiennes du matin, le thé vert, les ablutions, les opérations naturelles. Une fois dans la rue, il assiste à cette scène:
"Une jeune femme blonde en talons hauts et habits de soirée déambule nonchalamment devant lui: ses cheveux retenus laissent apparaître une nuque fine et de petites oreilles, légèrement décollées. Deux femmes, cabas en main, attendent que le feu passe au vert. [...] Il [...] traverse au rouge le passage clouté en direction du métro, porté par un enthousiasme qu'il sent contagieux [...]. Deux pigeons se suivent."
Marc se trouve sous la pluie incessante depuis onze jours, qui imprègne tout, les êtres et les choses. Il réside dans une masure, dont le toit ne retient que partiellement l'eau, située en périphérie d'un petit bourg. Avec ce temps, il y fait nuit en plein jour. Il doit se trouver dans cette vallée que devine Aurélie depuis le bord du lac:
"Tout au fond, entre deux massifs, des nuages obstruent la vallée. Et sous les nuages, deux parallèles grises, obliques, des trombes d'eau qui tombent du ciel, de l'eau qui chute, lâchée dans le vide, du haut vers le bas, jusqu'au sol. Là-bas les gens sont sous la pluie, dans le brouillard. Dans la tempête."
Dans ce roman il n'y a donc pas vraiment d'intrigue, mais trois personnages, qui, confrontés à la réalité du réveil, se livrent à des réflexions poétiques sur ce qu'ils font, sur ce qu'ils vont faire, sur ce qui les environne.
Et le lecteur, sous le charme, comble de lui-même, emporté par son imagination, les lacunes poétiques laissées par l'auteur et fait siens, alors, ces vers de Stéphane Blok poète:
Depuis longtemps déjà, depuis longtemps j'ignore
si au-delà des toits, des toits s'étendent encore.
Francis Richard
Le Ciel identique, Stéphane Blok, 128 pages, Bernard Campiche Editeur