Pour peu que l'on adopte un certain regard, on peut voir que, dans la vie des gens ordinaires, se passent des choses qui ne le sont justement pas.
Claudine Houriet a ce regard, qui n'est malheureusement que très peu partagé.
Qu'elle mette cette citation de Cingria en exergue à son livre n'est donc pas insignifiant:
"Si l'on ne trouve pas surnaturel l'ordinaire, à quoi bon poursuivre?"
N'est pas non plus insignifiant le titre donné à son recueil de nouvelles: Le mascaret des jours.
Sans être surnaturel, le mascaret (terme gascon) est un phénomène naturel exceptionnel. Il se produit au moment des grandes marées, quand des vagues venues de la mer montante l'emportent sur le courant d'une rivière ou d'un fleuve, et la ou le remontent à grande vitesse sur des kilomètres à l'intérieur des terres, élevant de beaucoup le niveau des flots .
L'image qu'évoque le titre est donc bien celle d'un phénomène qui, en quelque sorte, transcende les jours et leur confère ce surnaturel qui donne un sens à la vie et permet de la poursuivre.
En les lisant de près, qu'elles soient empreintes de rêve ou de poésie, toutes ces nouvelles transportent le lecteur et l'élèvent. Et pourtant aucun des personnages n'est extraordinaire dans l'acception habituelle de ce terme. Il s'agit toujours de gens simples à qui il arrive quelques merveilles.
Comme il y a trente nouvelles, il serait lassant pour le blogueur de les résumer toutes et démotivant pour le lecteur de lui en déflorer toutes les histoires. Quelques exemples devraient suffire à se faire une idée de ce recueil enchanteur et inciter à le lire.
Un chauffeur de poids lourd, sans penser à mal, finit par aimer platoniquement une petite fille en rouge qui se tient tous les jours au bord de sa route et à qui il donne un jour une poupée. Ce cadeau est mal interprété par le père, qui le traite de pédophile. Des années plus tard, devenue serveuse dans un estaminet, elle le reconnaît à son tatouage. Ils se souviennent... et il lui ouvre les bras.
Avec sa gorge resplendissante et son épaisse chevelure châtain, Viviane attire les hommes comme les fleurs les abeilles. Pendant quatre ans elle échappe au tuteur qui lui a été imposé à la suite des bêtises auxquelles sa candeur l'a conduite. Pendant cette échappée, elle s'est installée dans la maison dont elle a hérité et dont les titres de propriété lui ont été directement remis par erreur par le notaire. Elle y a élevé seule les enfants fruits de ses premières amours et ceux qu'elle a eus depuis avec des beaux gars de passage. Jusqu'au jour où son tuteur la retrouve. Pour lui échapper encore, elle épousera le boucher du coin qui est amoureux d'elle depuis des années...et lui fera peut-être "un bébé rose et grassouillet".
Une fois à la retraite, Hervé et sa femme Angèle se sont offert l'abonnement général des CFF et sillonnent le pays. Angèle est passionnée par les lieux, les paysages et les curiosités touristiques. Hervé, lui, s'intéresse à la destinée des gens. Il imagine leur existence et trouve des solutions à leurs problèmes. Après le décès de sa femme, il continue à sillonner le pays, mais cette fois il donne réellement des petits coups de pouce aux destins des gens qu'il rencontre et, le soir, rentré chez lui, par écrit, il en dit "l'essentiel en quelques phrases composées avec soin". Au moment de prendre le dernier train, pour son dernier voyage, en direction de la ligne montagneuse d'un "bleu d'une douceur infinie", il y a foule sur le quai pour lui dire adieu...
Avec Le mascaret des jours, Claudine Houriet ouvre dans la vie du lecteur autant de parenthèses heureuses qu'il y a de nouvelles, sans mièvrerie, en racontant tout simplement et en empruntant souvent les voies du rêve ou de la poésie, parfois celles de la peinture ou du surnaturel. Aussi le lecteur ne peut-il y être insensible. Il ne peut que se réjouir de ces parenthèses, à .
Francis Richard
Le mascaret des jours, Claudine Houriet, 288 pages, Editions Luce Wilquin
En librairie dès le 12 avril 2014.