Il y a quelque vingt ans, Alice Nicolle a soutenu à l’Université Paris VII une thèse de doctorat sur L’expérience mystique de Simone Weil, sous la direction de Julia Kristeva.
Aujourd’hui elle publie aux éditions Docteur angélique le texte de Simone Weil qu’elle a composé alors à partir d'extraits de livres de la philosophe, texte placé en annexe à sa thèse.
Ce livre, en deux volumes, en version bilingue français-anglais, édité sous le titre Les sept pas vers la grâce, comprend en effet trois étapes et sept pas. Trois comme la Trinité divine, sept comme les dons du Saint Esprit.
Les étapes? La purification, la négation de l'ego, la mise à mort de l'âme charnelle par le malheur.
Les pas? L'attention, le vide, le désir, qui constituent la première étape; le consentement, le détachement, l'effacement, qui constituent la deuxième; le septième pas se confondant avec la troisième étape.
En remettant mille fois l'ouvrage sur le métier, Alice Nicolle a élaboré les étapes de ce parcours spirituel, implicite dans l'oeuvre de Simone Weil, en mettant à côté les unes des autres, comme dans un puzzle, toutes ses idées sur le sujet, éparpillées dans ses différents écrits. Et il faut dire que le résultat est lumineux.
Pour un chrétien lambda la compréhension de ce parcours spirituel est accessible, pour peu qu'il y prête suffisamment attention. Sa mise en pratique est tout autre chose et il pourra se dire, en regardant ce qu'il a accompli jusque-là dans sa vie, qu'il n'a peut être même pas fait le premier pas, encore moins franchi la première étape vers la grâce, c'est-à-dire vers la sainteté.
Contentons-nous donc de donner un aperçu de l'oeuvre en nous limitant à la première étape, c'est-à-dire aux trois premiers pas.
L'attention, dont parle Simone Weil et qui est le premier pas, ne relève pas de la volonté, mais du désir. Elle est liée "plus exactement au consentement". Elle n'est possible qu'à la condition que le regard soit dirigé vers Dieu, ce qui est presque impossible:
"Il est infiniment difficile de renoncer même à un petit plaisir, de s'exposer même à une très légère douleur, seulement pour Dieu; pour le vrai Dieu, celui qui est dans les cieux et non pas ailleurs. Car quand on le fait, ce n'est pas à la souffrance qu'on va, c'est à la mort. Une mort plus radicale que la mort charnelle et qui fait pareillement horreur à la nature. La mort de ce qui dit "je"."
Aller à cette mort de ce qui en nous dit "je"? C'est "tuer l'imagination combleuse de vide", expression de Simone Weil, par laquelle elle exprime que notre âme tend à combler le vide créé par les faiblesses et les limites de notre être charnel, et par notre néant.
Seulement "seul le vide attire la grâce"...
Comment parvenir au vide? Nous ne pouvons pas nous empêcher de désirer, alors il faut que notre désir passe tout entier dans la demande parfaite de "ce qui est, ce qui est réellement, infailliblement, éternellement, d'une manière tout à fait indépendante de notre demande". Autrement dit le désir doit s'orienter vers le bien absolu et renoncer aux faux biens, objets de notre convoitise.
La première étape sera franchie de cette manière, car "la purification est la séparation du bien et de la convoitise."
Les deux autres étapes pourront dès lors être poursuivies, l'une après l'autre...
En conclusion de son résumé des étapes de la progression spirituelle, qui se trouve à la fin du second volume, Alice Nicolle écrit:
"A travers la méditation de l'oeuvre de Simone Weil on découvre que la mystique, loin d'être un objet presque exclusif d'étude, est une orientation de l'âme qui la conduit progressivement à s'élever irrésistiblement au-dessus de son être charnel.
Cette orientation de l'âme amène alors à un état de conscience autre. Et la vie humaine n'a peut-être été donnée à l'homme que pour arriver à cette conscience.
Beaucoup sont appelés... mais ils n'écoutent pas: ils n'entendent que les bruits du monde...!"
C'est bien beau, mais comment ne pas entendre les bruits du monde? Peut-être en ne brûlant pas les étapes. Ainsi le chrétien lambda commencera-t-il par le commencement et se convaincra-t-il qu'il faut attendre - ce qui ne veut pas dire être inactif - parce que "les véritables biens ne peuvent être cherchés mais doivent être attendus".
Qu'est-ce attendre, sinon avoir la pensée "prête à recevoir dans sa vérité nue l'objet qui va y pénétrer", ce qui suppose d'avoir le regard dirigé vers Dieu.
Ce faisant, le chrétien lambda aura fait le premier pas...celui qui coûte.
Francis Richard
Les sept pas vers la grâce, Simone Weil, tome 1 (142 pages) et tome 2 (116 pages), Editions Docteur angélique