Qui n'a pas rêvé un jour d'être un animal? Philippe Sollers, dans un entretien avec Dominique Rollin, le 15 décembre 2005, disait que, s'il était un animal, il serait un oiseau. Comme Paul Ardenne.
Sauf que, dans Comment je suis oiseau, Paul Ardenne raconte qu'enfant il ne rêve pas d'être oiseau, il ne veut pas être oiseau, il est oiseau. Aujourd'hui, d'ailleurs, ne l'est-il pas toujours, quelque peu?
Son livre commence ainsi: "Je suis né oiseau. Quand? Je ne saurais le dire. Où? Je n'en ai pas d'idée formée. Pourquoi? Je l'ignore, à dire vrai. Mais enfin, le fait est: je suis né oiseau, c'est oiseau que je suis né."
C'est grave, docteur? C'est la première question que le lecteur pose. A la réflexion, poursuivant sa lecture, il se demande si ce n'est pas un gag. Mais la suite lui montre que non. Et les dialogues de l'auteur avec son ami turc Ali Kazma, à Istanbul, qui égrènent le récit, ne manquent pas de rationalité.
Le lecteur finit donc par prendre l'auteur aux mots. Comment pourrait-il d'ailleurs révoquer en doute l'affirmation de Paul qu'il est oiseau alors que tous les éléments qu'il apporte la corrobore?
D'abord il a passé les dix-sept premières années de sa vie à la campagne, en Aunis, cette ancienne province de France, dont La Rochelle est la capitale. Il a eu tout le temps d'observer les oiseaux et de se reconnaître en eux. Il est un oiseau, en dépit de sa forme humaine.
Son oncle Henri se méprend donc quand il conclut que, s'il se sent oiseau, c'est qu'il veut être ornithologue. Il ne comprend pas qu'il faut prendre l'expression au pied de la lettre. Paul est-il fou ou normal? Il ne se pose pas la question. Il est oiseau, c'est tout.
A l'âge de six ans, Paul sait reproduire le chant des oiseaux. Il ne veut pas les mimer, leur ressembler. Ce serait pathétique, car il est et se sent oiseau, désolé de constater que sa croissance physique l'éloigne de leur physionomie.
Il tente donc d'accepter d'être humain, c'est-à-dire d'accepter sa condition d'oiseau "mal oiseau", "en exploitant tout ce qui d'humain en [lui] [peut] travailler à acomplir [son] "devenir oiseau"", en se déshumanisant en quelque sorte, en se défaisant d'une dignité pour en conquérir une autre.
Dans sa campagne, d'autres enfants se dédoublent. Il les appelle des "transformistes". Ce n'est pas ce qu'il veut être. Ils lui paraissent ""jouer" une image, s'installer dans une image rêvée d'eux-mêmes, en mimes doués et appliqués". Cela dit, il est, comme "les transformistes", en proie aux vexations des "normaux":
"La loi du plus grand nombre que l'on vous impose comme la loi de tous et comme la loi tout court, celle qu'on n'amende pas. L'horreur légale."
Comment cet amour des oiseaux lui est-il venu? Il ne sait pas. Ce fut vraisemblablement un coup de foudre: "L'amour c'est la bascule, on y tombe - on y tombe, comme le pendu dans le vide, une fois la trappe retirée, voyez-vous."
S'il devait se présenter un jour devant l'assemblée des oiseaux de l'Avipatrie, ce serait modestement, en "oiseau minimal", ou si ce n'était pas plausible, en homme défenseur de la cause aviaire, pourquoi pas en tenue d'Adam plutôt que d'être déguisé en oiseau.
En fait il est oiseau, mais reste humain. Tous les épisodes qu'il raconte confirme cette position ambiguë entre deux états: quand il cherche à s'accoupler comme le font les oiseaux avec une petite camarade, quand il renonce à voler - enfant, il aime le dodo de l'Ile Maurice parce que c'est un oiseau sans ailes... -, quand il reconnaît qu'il a le vertige.
Francis Richard
Comment je suis oiseau, Paul Ardenne, 286 pages, Le Passage
Une lecture d'extraits de ce livre a lieu ce mercredi 17 décembre 2014, à 19 heures, dans l'atelier d'Eric Winarto, à l'Atelier Kugler, 19 avenue de la Jonction, à Genève.