Francesco Micieli et Damien Murith sont les invités ce soir de l'association littéraire Tulalu!?. Cette rencontre a lieu au premier étage du Lausanne-Moudon, dans ce décor onirique où, sur les murs, des lèvres incarnates susurrent des mots inaudibles, hormis pour ceux qui ont de l'imagination. Pierre Fankhauser anime cette rencontre avec l'à-propos qui le caractérise. Il le fait sans méchanceté, accompagnant l'effet de surprise que suscitent parfois ses questions d'une rondeur de voix qui les rend inoffensives sans leur en enlever la pertinence.
L'an passé, la Trilogie des premiers livres de Francesco Micieli, qu'il a écrits en allemand, a été traduite en français par Christian Viredaz. Il s'agit de récits qui peuvent se lire indépendamment les uns des autres, mais qui valent tout de même la peine d'être lus à la suite, parce qu'ils racontent une même histoire de plusieurs points de vue.
Francesco Micieli a choisi d'écrire dans une langue étrangère, l'allemand, patrie - heimat - patiemment conquise, mais dans laquelle il peut s'exprimer librement, comme a pu le faire une Agota Kristof, qu'il a d'ailleurs connue. Sa langue maternelle est l'italo-albanais, mais c'est une langue qui comporte peu de mots, ceux qui servent à la vie de tous les jours. Sa langue marâtre est l'italien, mais c'est une langue imposée, celle de l'Etat.
Les trois récits de Francesco Micieli sont écrits dans des genres littéraires différents.
Le premier récit est celui d'un enfant, qui emploie peu de mots, les mots essentiels et qui s'apparente à de la prose poétique. Les pages ne sont que partiellement imprimées, ce qui laissait la possibilité quand il était édité en volume de le découper par moitié pour en faire un autre usage...
Le second récit est celui d'une mère qui n'a pas eu la possibilité d'aller à l'école au-delà des deux premières années. C'est un écrivain qui lui tient la plume et adopte un genre à mi-chemin entre la poésie et le récit.
Le troisième récit est bien un récit, à proprement parler, celui de l'enfant qui est devenu adulte. Ce narrateur a lu Goethe, mais au contraire du voyage approfondi en Italie que fit celui-ci, le sien se résume au nom des gares italiennes où s'arrête le train qui l'emporte vers la Calabre.
Dans ces trois récits autobiographiques, Francesco Micieli n'est accusateur, en aucune manière, de quoi que ce soit. Il observe tout simplement, et il constate, finalement, qu'ils forment une manière de retour mythique au point de départ, qui aurait fasciné Walter Benjamin. N'est-il pas troublant d'ailleurs que la première traduction du livre de cet écrivain, descendant de guerriers Albanais ayant trouvé refuge en Italie, cinq siècles auparavant, après avoir combattu les Turcs, ait été faite dans la langue turque?
Cette grande finesse d'interprétation a la vertu de mettre en valeur les textes et de faire ressortir toute la puissance qui en émane.
Francis Richard