Une fois n'est pas coutume. En bon stendhalien, c'est-à-dire en bon égotiste, je vais parler de moi d'abord et de vous, ensuite, mes amis, qui avez la gentillesse de me lire. Je suis conforté dans cette attitude d'esprit par d'illustres stendhaliens qui m'ont montré la voie, je veux nommer mes chers Jacques Laurent et Philippe Sollers.
Pour illustrer ce billet, j'ai repris une photo prise le 1er août dernier. J'y apparais rayonnant, comme je ne devrais jamais cesser de l'être et comme je l'étais avant 14, il y a un siècle, me semble-t-il. Ce jour-là, je suis rayonnant parce que je me trouve au milieu d'amis, et, surtout, plus précisément, d'amies, dont la présence et la bienveillance me portent.
Le soir même, cette grâce persistant, je prends une disposition personnelle qui me libère - elle n'est pourtant que l'expression modeste de ma reconnaissance envers la personne à qui je dois l'épreuve de l'année. Mes proches la découvriront, sans peut-être la comprendre, après mon trépas.
L'amitié souffre l'intermittence, tandis que l'amour ne souffre pas l'absence et, surtout, souffre de l'absence. Je l'ai appris, à mes dépens, l'année dernière. Quoi qu'il en soit, à chaque fois que mon âme traverse une épreuve, mon corps réagit en perdant du poids. Entendons-nous bien, je ne déprime jamais dans les épreuves, je souffre. Et cette souffrance n'est pas maladive. Je n'ai pas besoin de consulter comme on me l'a aimablement conseillé.
En fait je devrais traverser davantage d'épreuves, même si je n'en ai pas été épargné au cours de mon existence. Les épreuves me sont bénéfiques parce que j'apprends, parce qu'elles aiguisent ma curiosité et ... parce que je n'ai pas d'autre choix que de les surmonter. Physiquement elles me permettent de me dégraisser et de ne garder que mes muscles sur mes os. Moralement elles me fortifient.
L'épreuve de 14 aura eu des effets bénéfiques, même si j'en souffre encore. Jamais de ma vie je n'ai soumis mon corps à une telle discipline, et je compte bien persévérer, parce que cela me permet de supporter la réduction de ma vie personnelle à une peau de chagrin.
L'insuffisance cardiaque, dont je ne souffre pas, je m'empresse de le dire, mais qui me gêne plutôt qu'autre chose, m'a conduit il y a quelques années déjà à abandonner le karaté do, pratiqué pendant quinze ans. Alors, progressivement, en écoutant mon coeur, je me suis remis à nager - j'ai été un bébé nageur - et, en 14, j'aurai nagé - j'en ai tenu un compte précis - 587'250 m, à Lausanne, à Pully, à Paris, à St Jean-de-Luz, dans des piscines et dans l'océan.
Je ne dis pas cela pour figurer dans le Guiness des records, ni pour me vanter, mais pour montrer, que même lorsque l'on souffre d'un handicap physique, voire mental - je suis atteint de folie douce - il est possible de faire faire des choses inimaginables à son corps. Pour montrer, également, ce que les arts martiaux et l'adage latin - mens sana in corpore sano - m'ont appris, que l'esprit et le corps interagissent l'un sur l'autre.
Jamais de ma vie je n'ai soumis mon esprit à une telle discipline. Tout en travaillant beaucoup, dans un domaine, les ressources humaines, qui convient bizarrement bien à l'ingénieur de formation que je suis, je n'ai jamais autant lu, ni autant écrit, 224 billets sur ce blog, ni autant composé de poèmes, dont j'ai détruit la plupart, pour tourner la page.
Au cours de 14, j'ai conservé et me suis fait un grand nombre d'amis. Je ne m'illusionne pas trop pour autant. Parmi eux et parmi elles, il y en aura que vent emportera, d'autant qu'il vente toujours devant ma porte, comme aurait dit le cher Rutebeuf, qui a traité de ce sujet, il y a longtemps déjà. Mais, parmi cette cohorte, il y en aura bien quelques uns au moins qui resteront de vrais amis, dont l'amitié est de celles qui faisaient dire au cher Montaigne à propos de la sienne avec La Boétie: "Parce que c'était lui, parce que c'était moi.".
Cette nuit, un de ces amis sûrs, qui se font connaître "dans les situations peu sûres", m'a témoigné de son amitié dans un message. Il se reconnaîtra. Il m'avait donné son numéro de téléphone mobile quand il avait pressenti que j'étais au bord de l'abîme. Je n'en ai pas usé, mais je savais qu'il était là, si jamais, pour m'écouter. Il aura été d'un grand secours pour moi. Cicéron fait dire à Lélius dans De l'amitié: "Le coeur se dilate quand un ami a quelque sujet de joie, il se contracte quand il est victime d'un événement fâcheux."
L'année 2014 m'a été cruelle en termes d'amitié. J'ai essuyé la perte de deux amis. L'un est mort, l'autre est vivante.
Dans De l'amitié, Cicéron fait encore dire à Lélius, qui est affecté par la mort de son ami Scipion: "Je crois qu'il ne lui est rien arrivé qu'on puisse dire mauvais; s'il y a un mal, c'est à moi qu'il est arrivé." En effet Lélius n'est pas de ceux qui croient "que les âmes périssent avec les corps et que la mort est la fin de tout".
Comme Lélius je ne crois pas dans mon for interne que l'âme périsse avec le corps, même si je suis un mécréant et que le doute ne me quitte pas. La mort de cet ami perdu ici-bas, revu huit jours auparavant, m'a profondément édifié et c'est pourquoi j'ai la faiblesse de croire qu'il me regarde de là-haut avec bienveillance et, dans le même temps, incrédulité devant ma mécréance.
En relisant cette nuit le texte de Cicéron, je me rends compte que la perte de mon amie vivante m'est bien imputable à moi seul, comme j'en ai pris conscience depuis le début. Lélius dit en effet qu'"il ne peut y avoir d'amitié qu'entre gens de biens". Et je suis un vilain, un homme dont la faiblesse de caractère, éphémère, ne pouvait au mieux qu'indisposer.
En 2015, j'émets donc les voeux suivants à l'adresse de vous qui êtes mes amis:
- je tâcherai d'être toujours bienveillant à votre égard;
- j'essaierai d'être quelqu'un de bien;
- je m'efforcerai de ne pas laisser libre cours à mon hyper-émotivité;
- je ferai en conséquence des efforts à l'oral (je peux avoir la parole encore plus hésitante que celle de Modiano);
- je prendrai les contrariétés et les vicissitudes avec humour...
Sinon, j'émets, bien sûr, tous les meilleurs voeux que l'on peut souhaiter à ses amis, en pareille circonstance, celle d'un changement de millésime.
Francis Richard
PS
Dans les Pièces non recueillies, François Villon a composé une espitre destinée à ses amis. Il aurait dû écrire epistre. J'ai repris cette faute, dans le titre de ce billet, parce qu'elle convient très bien à mon imperfection.