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23 septembre 2015 3 23 /09 /septembre /2015 17:00
La nouvelle Fuite à Varennes, de Frédéric Vallotton

Le 20 juin 1791, le roi Louis XVI et sa famille s'évadent des Tuileries où ils sont retenus contre leur gré et où ils se sont rendus en 1789 pour apaiser les esprits... à la suite des massacres commis à Paris par les révolutionnaires les 5 et 6 octobre de cette année-là. Les Lumières, qui n'auront pas éclairé la France bien longtemps, commencent déjà à s'éteindre...

 

Dans son testament politique, écrit le jour même de sa fuite, et découvert seulement en 2009, Louis XVI explique qu'il a toujours été prêt à s'entendre avec les révolutionnaires, qu'il a admis ne plus exercer qu'une monarchie limitée mais qu'il entend conserver son autorité dans les domaines régaliens que les constitutionnels ont eux-mêmes fixés et qu'ils se gardent pourtant de respecter.

 

On connaît la suite. Les fugitifs royaux sont reconnus, arrêtés à Varennes le 22 juin 1791 et ramenés sous bonne escorte à Paris. La fuite à Varennes est le symbole de l'échec (et pas seulement de la royauté). Il est le commencement de la fin d'un régime politique typiquement français qui aura duré quatorze cents ans.

 

De l'Arrestation de la famille royale à Varennes, il existe de nombreuses représentations, picturales (et même cinématographiques). L'une d'elles, une gravure polychrome du début du XIXe, d'après une huile d'Alfred Elmore (ci-dessous), est le seul héritage de la protagoniste du dernier roman de Frédéric Vallotton, dont le deuxième prénom, Adélaïde, est celui d'une aïeule.

La nouvelle Fuite à Varennes, de Frédéric Vallotton

Dans ce roman, aujourd'hui c'est 2009. On est à Genève et on fête les 500 ans de la naissance de Calvin. La protagoniste, née en 1959 (l'année de la mort d'Adélaïde à soixante-dix ans), a passé cinquante ans. Elle est reconnaissable parce qu'elle porte la plupart du temps jupe écossaise et brodequins bruns. Elle est aussi reconnaissable, paradoxalement, parce qu'elle est transparente:

 

A plus de cinquante ans, la transparence est une vertu, un allié, une arme dissuasive et élégante.

 

Il faut ajouter que cette femme trop bien élevée n'a pas la transparence insignifiante, elle a la discrétion d'une femme bien née. Ce qui est l'aboutissement d'une vie. Car cette femme de plus de cinquante ans est devenue une femme avisée, discrète, quoique légèrement maquillée. Il faut dire qu'elle a grandi à l'ombre du souvenir mensonger de son homonyme aïeule, mue en sainte familiale.

 

Adélaïde a en effet été l'exemple frelaté d'une femme cupide, égoïste mais libre, qui a survécu en milieu hostile. Née en 1889, elle quitte Vienne pour Berlin au moment de l'instauration de la République autrichienne en 1919. Dans les années 1930, juive invertie, elle épouse un Suisse inverti, s'établit à Zürich en 1932 et fait du trafic d'art entre l'Allemagne nazie et la Suisse...

 

Tout au long du récit, le portrait de son aïeule se dessine à ses yeux. Il est le contraire du sien, elle qui a su dominer et investir son existence. Qu'était Adélaïde, sinon une lesbienne mais pas dégoûtée par les hommes, une femme juive agnostique qui n'a jamais cru en rien d'autre qu'en l'art, une experte au regard tant aiguisé qu'avisé:

 

Il a fallu mentir, mentir et tromper. Il a fallu fuir et tout renier puis il a fallu porter de lourds secrets et craindre d'être reconnue parmi le vacarme et la confusion d'une société médiocre et affaiblie, se compromettre dans cet affreux après-guerre. Adélaïde est morte en plein gaullisme, elle n'eut pas à subir la racaille bobo, l'élite acculturée et sans manières, ni la pression de la foule.

 

La discrète, dont le deuxième prénom est donc Adélaïde, à plus de cinquante ans, est une femme aboutie, c'est-à-dire arrivée. Mais, pour arriver, il lui a fallu démêler le vrai du faux dans l'existence de celle qui lui était donnée en exemple. Elle a mis cinquante ans pour y parvenir et Frédéric Vallotton, avec l'élégance de son style, et celle du coeur, l'accompagne pendant toute sa quête.

 

Ce que sa transparente voit, il le voit avec ses yeux de romancier et il le donne à voir à celui qui le lit. Cela se traduit par des textes, qu'il ne doit pas regretter d'avoir écrit, parce qu'ils sont de toute splendeur évocatrice et qu'ils ont pour thèmes des sujets qu'il connaît bien, telle la Berlin d'aujourd'hui qui se croit encore sous la République de Weimar:

 

Berlin, sa douceur, ses nuits, ses cafés, ses bars et un été en forme de parenthèse entre des plages de gazon et le demi-jour de boîtes choisies, de véritables temples où l'extase se vit comme au creux d'un sanctuaire païen.

 

Il ajoute aussitôt: Berlin n'a plus de mémoire; elle a fait un accident vasculaire cérébral il y a plus de soixante ans de cela. Depuis, elle a changé. Personne n'aurait imaginé qu'elle s'en remettrait, on s'en réjouissait du reste, mais la ville s'est relevée, avec une nouvelle personnalité. Elle-même n'arrive pas à croire qu'elle ait fait ce qu'elle a fait de trente-trois à quarante-cinq.

 

Francis Richard

 

La nouvelle Fuite à Varennes, Frédéric Vallotton, 162 pages, Les Éditions Baudelaire

 

Livres précédents:

Journal de la haine et autres douleurs, 144 pages, Olivier Morattel Editeur (2015)

Canicule Parano, 136 pages, Hélice Hélas (2014)

 

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  • : Le blog de Francis Richard
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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