L'ancienne alliance est rompue; l'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n'est écrit nulle part. À lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres.
C'est ainsi que se terminait Le hasard et la nécessité, le livre de Jacques Monod, grand biologiste devant l'Éternel. Cette conclusion, irréfutable, d'un grand scientifique, ne l'était donc pas. Car il n'y a pas de réponse définitive à cette interrogation que l'homme se pose depuis toujours, qu'il continuera de se poser jusqu'à sa fin individuelle, inéluctable, et dont il connaîtra alors, ou pas, le fin mot.
Le hasard est justement le thème d'Une ombre au tableau, la dernière pièce de Carole Dubuis, qui est montée par la Compagnie En-Visages, au Théâtre de l'Oxymore, à Cully, et que j'ai vue hier soir, dans une salle comble, où la cinquantaine de spectateurs se sentaient proches les uns des autres et des quatre comédiens, sous une voûte noire, en demi-arc de cercle, celle d'un caveau.
Diane (Tiphanie Chappuis) et Jean (Yves Scheuner) sont deux restaurateurs de tableaux. Ils ne se sont pas vus depuis un bon moment. Ils viennent de se rencontrer par hasard dans une petite ville italienne où ils ont travaillé ensemble. Mais est-ce vraiment par hasard? Le destin n'y est-il pas pour quelque chose? Diane en doute, Jean le croit. Est-il seulement possible de les départager?
Diane et Jean effectuaient dans l'église de cette ville, Santa Maria Novella, la restauration d'un tableau de Brunetti. Cette toile représente trois personnages, une femme et deux hommes, et quatre ombres... On ne sait de qui ou de quoi cette dernière ombre au tableau est le nom. Les historiens et les commentateurs disputent encore de l'interprétation qu'il convient de lui donner.
Quand la pièce commence, une femme inquiète et dévote (Catherine Forestieri), toute de noir vêtue, écoute le premier des six messages qui se trouvent sur la messagerie de son téléphone portable. Il est recommandé au spectateur d'y prêter attention, parce que ces six messages de Marco (Ricardo Henriques), son fils disparu, sont comme la ponctuation de la progression de l'intrigue.
Après leur rencontre, Diane et Jean visitent Casa Luce, une maison concurrente. Il ne reste plus que deux éléments pour que cette histoire singulière se mette en place. Diane et Jean, qui auraient pu s'aimer, y découvrent d'abord, sous un linge, le tableau qu'ils restauraient ensemble. Puis, de sous un autre linge, surgit, comme un diable, Marco, le stagiaire qui les assistait à l'époque.
Le trio de naguère est donc reconstitué, de même que sont mis à jour les trois personnages du tableau de Brunetti, qui sont comme leurs reflets, avec leurs ombres portées, auxquelles s'ajoute comme une intruse cette ombre qui provient de nulle part. Pourquoi sont-ils réunis ce jour-là? Peu à peu, leur histoire, pleine d'incertitudes, qui se déroule sans temps morts, le précise, de même que les liens qui les unissent.
Très vite les caractères du trio se dessinent dans leur diversité. Diane est analytique et, tout en étant désirante et désirable, garde les pieds sur terre. Jean est sentimental, mais, aventureux, il a vécu, et sa raison tempère tout de même ses ardeurs. Marco a, au contraire, l'ardeur de la jeunesse et son impétuosité, ce qui lui fait bousculer les lignes. Sa mère, à raison, s'inquiète pour lui et se réfugie dans la prière.
Bien que le thème soit grave, il ne pèse pas sur la pièce, laquelle ouvre des perspectives. Les frontières de l'existence y sont habilement franchies, mine de rien, ce qui permet de pousser très loin les interrogations. Si chacun des personnages, incarnés pleinement par les comédiens, réagit à sa manière, les spectateurs ne peuvent que faire de même. Car cette pièce donne matière à réflexion, sans accabler, grâce à l'élégance du texte.
Francis Richard
Du 24 septembre au 4 octobre 2015:
Les jeudi, vendredi et samedi à 20h30
Le dimanche à 17h00
Réservations:
ou
tél. +41 (0) 76 410 10 82