Ceux qui me connaissent ne seront pas surpris d'apprendre que j'ai nagé le jour de la Saint Sylvestre 2015. C'était à St Jean-de-Luz où j'aime terminer l'année, depuis quelques années, et où, peut-être, si Dieu le permet, je terminerai mes jours, de préférence accidentellement, pour reposer auprès de ma mère...
Depuis l'épreuve de quatorze, qui est peut-être ce qui m'est arrivé de meilleur dans ma vie, j'ai trouvé dans la nage (libre) un moyen d'équilibre pour ma santé, mentale et corporelle. Si en 2014 j'ai parcouru 587 km en nageant, dans le même exercice j'ai enregistré 639 km à mon compteur en 2015.
Cette distance millésimée, je l'ai parcourue en dépit de deux accidents - l'un au genou, l'autre au front -, qui m'ont éloigné, momentanément, des bassins et de la mer. C'est dire que la natation occupe désormais une place de choix délibéré dans ma vie.
Un jour récent de cette année, un maître-nageur d'une piscine de la banlieue lausannoise que je fréquente, après m'avoir observé nager mes 2000 mètres d'une traite, me demande:
- Vous êtes un ancien nageur?
- Oui. Mais il y a longtemps...
- Parce que vous donnez l'impression de glisser sur l'eau...
- Je ne nage pourtant plus comme à l'époque. On nageait alors avec la tête redressée, l'eau au milieu du front; on passait ses bras en dessous du ventre; et on commençait seulement à virer en faisant une culbute... ce que je n'ai jamais appris à faire, en proie que j'étais aux sinusites...
Cet échange, libre bien entendu, m'a fait souvenir de quand j'étais nageur dans le sillage de Jo Bernardo. Car, si je ne nage pas trop mal, je le dois à ce champion (aujourd'hui oublié) de la natation française.
A Monte-Carlo, nous habitions un appartement, avenue Princesse Charlotte, dans le voisinage de Radio Monte-Carlo, dans une résidence, Le Roqueville, disposant, au milieu du U formé par l'immeuble, d'un parc de palmiers où une fontaine monumentale apportait quelque fraîcheur en été.
Habitaient dans cette résidence somptueuse l'écrivain Pierre Nord, dans la même aile que nous, et, dans l'aile d'en face, en attique, l'armateur grec Stavros Niarchos, mort à Lausanne... Tous les appels téléphoniques passaient par un standard. La standardiste avait une voix suave. Mon père voulut un jour en avoir le coeur net et faire sa connaissance. La déception fut à la hauteur du fantasme qu'il avait nourri...
Quand l'Hôtel de Paris a ouvert une piscine avec terrasse donnant sur le port de Monaco, mes parents, mes trois soeurs et moi, avons été les premiers clients de cet établissement de luxe. A ce titre nous bénificiions d'un tarif familial... sans lequel mon père aurait de toute façon payé les entrées de toute la famille.
Le maître-nageur de la Piscine de l'Hôtel de Paris était Jo Bernardo. C'est lui qui m'a appris à nager le crawl, la nage libre que choisissent en fait les nageurs pour les épreuves de cette discipline. C'est lui qui m'a fait faire des entraînements intensifs dans la piscine olympique du port de Monaco, sous la houlette de Monique Berlioux, qui s'est éteinte l'été dernier...
Jo Bernardo avait notamment été médaillé de bronze aux Jeux Olympiques de Londres (1948) et d'Helsinki (1952) dans le relais 4 fois 200 m nage libre. Dans le 1500 m nage libre il avait été champion de France en 1949, 1952, 1953 et 1954, médaille de bronze au championnat d'Europe de 1950...
La piscine des Thermes marins de Monte-Carlo d'aujourd'hui n'est plus tout à fait celle de l'Hôtel de Paris. Bien sûr elle est toujours ovale avec au plafond une gigantesque coquille Saint-Jacques, mais il n'y a plus de bar, plus de machines à sous (les enfants devaient se taire quand un joueur du Casino avait essuyé de grosses pertes...), plus de repas servis sur la terrasse dès le printemps venu.
Au bord de cette piscine j'ai discuté avec un grand Monsieur, très gentil, dont je n'ai su le nom, par une employée, qu'en regagnant ma cabine, Jacques Brel. La princesse Grace venait de temps en temps avec Caroline et Albert. Je chahutais souvent dans l'eau avec une certaine Christina Onassis, de quelques mois plus âgée que moi...
Quand les Ballets russes se produisaient, la troupe venait nager dans cette piscine et j'admirais la musculature et la beauté de ces femmes et de ces hommes athlétiques. André Cayatte y a tourné une scène de bagarre incroyable dans un de ses films, Le glaive et la balance (1963), avec Anthony Perkins, Jean-Claude Brialy et Renato Salvatori.
Bref, cette piscine singulière est pour moi, aujourd'hui encore, un endroit mythique.
Ces années 1960 ont donc été celles de ma carrière éphémère de nageur. Entré au Lycée Henri IV, à Paris, à la rentrée de 1965, j'ai intégré l'équipe de natation. Nous allions à la Piscine de Pontoise, rue de Pontoise, dans le cinquième, ou à la piscine de l'Hôtel Lutétia, qui se trouvait en sous-sol, et qui a été transformée un temps, par la suite, en boutique de mode...
Les compétitions inter-lycées se déroulaient au Centre Sarrailh, en haut du boulevard Saint-Michel. Une fois nous nous sommes déplacés en car près de Fontainebleau, dans une base américaine: l'atterrissage d'hélicoptères tout à côté de la piscine, où était servi un goûter à l'issue des épreuves, avait quelque chose de surréaliste.
Mon plus grand exploit, somme toute modeste, aura été de terminer cinquième lors des épreuves régionales d'Ile de France, en 1967, au stade Georges-Vallerey, à côté du SDECE, devenu depuis la DGSE... L'année suivante, les compétitions n'ont pas eu lieu, pour cause d'événements...