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8 février 2016 1 08 /02 /février /2016 23:15
Mémoires imparfaits, de Thierry Béguin

Quand un homme public écrit ses mémoires, la première réaction - si j'ose, en l'occurrence,  employer ce mot, on verra plus loin pourquoi - est de méfiance. Dans un tel livre, l'auteur n'a-t-il pas surtout la volonté de paraître sous son meilleur jour, celui que la postérité est conviée par ses soins à retenir de lui?

 

Quand un homme public qualifie cependant ses mémoires d'imparfaits, il met tout de suite en confiance celui qui s'apprête à le lire. Car l'homme public reconnaît humblement par là-même que personne n'est parfait, à commencer par lui-même; et cela ne peut que rassurer le lecteur, surtout s'il ne supporte plus avec l'âge les plaidoyers pro domo.

 

Dans ses Mémoires imparfaits, Thierry Béguin, ce natif de La Chaux-de-Fonds, emploie cet adjectif parce qu'ils ne sont pas complets: il a puisé dans "une mémoire nécessairement sélective" (il garde pour lui "bonheurs et chagrins intimes") "quelques souvenirs essorés par le temps" qu'il présente sous forme de flashs, c'est-à-dire de courts chapitres écrits dans une langue lumineuse et évocatrice.

 

Avec ces mémoires, Thierry Béguin n'a pas cherché non plus à se justifier mais, simplement, à "restituer son itinéraire intellectuel et politique, balisé par la culture familiale, la culture acquise, les rencontres et les événements". Il a cherché en somme à se connaître lui-même, démarche éminemment socratique et respectable, qu'il partage modestement, et brillamment, avec les autres.

 

Sa culture familiale est diverse: un père enseignant, maurassien, francophile et chauvin; une mère élevée dans le catholicisme; un grand-père paternel employé des Postes, socialiste, autoritaire et sectaire, protestant non pratiquant; une grand-mère paternelle protestante pratiquante; un grand-père maternel photographe, agnostique; et une grand-mère maternelle catholique.

 

Sa culture acquise l'est tout autant: au Gymnase, un professeur de philosophie et de littérature, député popiste au Grand Conseil de la République de Neuchâtel, a l'honnêteté de le noter en fonction de son argumentation et de son style; à l'Institut Catholique de Paris, il étudie l'histoire, la géographie et l'allemand; à l'Uni de Neuchâtel, il fait des études de droit.

 

Au début de son parcours, après avoir fréquenté à Paris la droite contestataire (sans qu'elle emporte sa conviction), il se convertit à Neuchâtel au libéralisme philosophique et politique, tout en demeurant durablement conservateur. En économie il s'accommode d'"un libéralisme encadré, garant imparfait mais incontournable de la prospérité, pourvu qu'il préservât le souci de la justice sociale comme l'exigeait la doctrine sociale de l'Eglise dont [il] était imprégné."

 

Etudiant en droit, il participe avec quelques amis au lancement d'"un journal dont le titre "Réaction" était à lui seul tout un programme". Ce journal, politiquement incorrect, de bonne tenue, pousse toutefois assez loin la provocation, puisque des articles, qu'il n'aurait toutefois pas signés, vont jusqu'à y "mettre en avant la réussite économique de la Grèce des colonels ou de l'Espagne encore franquiste".

 

Bien que la droite dont il se réclame à l'époque se situe "entre la monarchie populaire de Bernanos et le socialisme mystique de Péguy", l'étiquette de "facho" lui est inévitablement collée et il faudra bien des années pour qu'elle se décolle complètement. C'est d'ailleurs pourquoi son adhésion initiale aux Jeunes radicaux fait long feu, sa démission de la rédaction de Réaction ne suffisant pas à le dédiaboliser.

 

Aussi ne reviendra-t-il à la politique qu'après quelques années passées dans la vraie vie où il fait nombre de rencontres humaines. Licencié en droit, il est d'abord avocat stagiaire, puis obtient son brevet d'avocat. Il peut réintégrer le Parti radical. Son droitisme de jeunesse ne l'empêche pas d'être élu Juge d'instruction, puis Procureur général, même si d'aucuns n'hésitent pas à réveiller son passé d'étudiant très à droite lors de ces élections.

 

En 1987, ce sont les événements qui font revenir Thierry Béguin en politique. A la surprise générale - sa candidature ne fait peur à personne et il est censé ne faire que de la figuration - il est élu au Conseil des Etats et siège à Berne pendant douze ans. Sollicité par son parti pour un siège au Conseil d'Etat de la République de Neuchâtel, élu et réélu, il y dirige le Département de l'Instruction publique de 1997 à 2005.

 

Le Thierry Béguin politique est passé maître dans l'art du compromis, ce qui est très helvétique. Quand la question de la place du latin se pose à l'école, il parvient à convaincre ses collègues du Conseil d'Etat d'adopter une voie médiane qui suscite des oppositions de toutes parts: le latin ne sera pas obligatoire pour tout le monde et il ne sera pas non plus abandonné purement et simplement. Sera mise en place une troisième voie: Langues et Cultures de l'Antiquité...

 

Le Thierry Béguin politique ne donne pas dans ce qu'il appelle l'idéologie néo-libérale anglo-saxonne - nobody is perfect, comme dit plus haut: "Imprégné de l'histoire de France, que je considère comme un "bloc" en référence à Clemenceau qui utilisait cette expression pour la Grande Révolution, j'avais intégré dans ma vision de l'Etat, une sensibilité colbertiste, voir jacobine."...

 

Au long d'une vie somme toute bien remplie, la rencontre de Thierry Béguin avec le réel fut "la lente appréhension de la complexité du monde, l'apprentissage de la navigation "dans un océan d'incertitudes à travers des archipels de certitude.", comme dit Edgar Morin."

 

Dans son discours d'adieux au Grand Conseil neuchâtelois, prononcé le 23 mars 2005, qui figure en annexe, il se dit (autant se coller soi-même des étiquettes) conservateur, attaché charnellement à la patrie et à la famille, libéral au sens large, faisant confiance à l'individu, et social, l'Etat devant se soucier de tous tout en restant subsidiaire...

 

Dans un article, paru le 20 octobre 2009 dans L'Express, qui figure également en annexe, Thierry Béguin cite l'intervention d'un ouvrier musulman, monté à la tribune, après un pasteur, un théologien catholique et un représentant de la communauté orthodoxe, lors d'une réunion organisée en décembre 2004 par la Fédération neuchâteloise des entrepreneurs:

 

"Il y a trois âges dans l'histoire de l'humanité, dit-il, celui de la Loi, celui de la Voie et celui de la Perfection. L'âge de la Loi peut se définir ainsi: moi, c'est moi et toi, c'est toi; l'âge de la Voie: moi, c'est toi et toi, c'est moi; l'âge de la Perfection: moi et toi, c'est Lui."

 

Dans quel âge sommes-nous?

 

Francis Richard

 

Mémoires imparfaits, Thierry Béguin, 180 pages, L'Aire

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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