Quand la nuit tombe, je m'assieds face à l'ordi. J'enfile mes lunettes et allume la lampe. Silence. Je tape le mot de passe, enregistre un document Word: Relier les rives, titre sur l'écran.
Celle qui s'exprime ainsi s'appelle Lou-Anne Friol. Elle appartient aux services sociaux de la ville du bord du lac. Elle est l'une des deux voix de Relier les rives. Elle remplace, pendant ses vacances, Mme Lehner qui s'occupe des subventionnés, c'est-à-dire des habitations à loyer modéré helvétiques.
L'autre voix, c'est celle de Soraya, comme Lou-Anne l'appelle, une migrante, originaire de Jaffa, qui, partie de Zarka en Jordanie, où sa famille est passée, est arrivée en Suisse en 2002, via Istanbul, itinéraire connu désormais, avec son mari, Ali, et ses trois filles, Leïla, Nour et Yasmine.
Soraya, maintenant divorcée, habite seule un deux-pièces à l'étage, rue du Soleil, et travaille au rez, au tea-room. Mais elle va devoir partir parce que la maison va être vendue et démolie. C'est une lettre du proprio, d'octobre 2013, Monsieur Bonhôte, qui, sans ménagement, le lui a annoncé.
. Et leurs deux récits se complètent: l'un parce qu'il est fruit d'une reconstitution pleine d'empathie pour celle qu'elle n'a pas rencontrée, l'autre celui d'un vécu plein de ces petits faits vrais, heureux ou malheureux, qui jalonnent l'existence d'une femme en galère.
Francis Richard
Relier les rives, Marie-Claire Gross, 136 pages Bernard Campiche Editeur