Jésus dit au grabataire: Lève-toi, prends ton grabat et marche (Jean, V, 8). De se lever et de marcher est la manifestation par le mouvement de sa guérison. N'est-ce pas tout simplement l'illustration de ce qu'est la vie humaine, qui est mouvement du corps et de l'esprit, insufflé par l'âme?
Comment, en lisant le titre évangélique du dernier roman de Frédéric Lamoth, ne pas y penser? Car, justement, ce roman est l'histoire d'un homme que sa marche grise d'un sentiment de liberté, sans laquelle il n'est pas de vie humaine digne d'être vécue, faut-il le rappeler?
Le héros du roman s'appelle Samuel Jourdain, prénom et nom symboliques. Il a passé son bac et va commencer l'uni. Il est simple recrue depuis sept semaines. A l'aube du 21 août il se lève, quitte la caserne et marche donc. Il ne sait pas pourquoi il marche, mais il marche droit, irrésistiblement.
Samuel n'est pas parti avec un lourd équipement. Il est seulement vêtu d'un maillot blanc, d'un short bleu marine, mais il emporte avec lui sa pèlerine, une veste thermique nonante. Les nuits peuvent être froides, même en été. Il porte à son cou sa plaquette d'identité en métal gris, sur laquelle est gravé son nom.
Il n'est pas parti pour rejoindre sa bonne amie, il n'en a pas. Il n'est pas parti pour rentrer chez lui, ses parents sont très inquiets. Il veut aller aussi loin qu'il le pourra, c'est du moins ce qu'il répond aux personnes qu'il rencontre chemin faisant, dans la campagne ou les villages. Et c'est ce qu'il croit vraiment.
Parallèlement au récit de la fugue proprement dite, se déroulent d'autres récits, dans le passé enfantin de Samuel, au sein de sa famille; dans le passé tout proche de Samuel, à la caserne; dans le présent de Samuel, à la caserne, où s'agite notamment le major Trottaz pour le retrouver, alors qu'il marche.
Les portraits de son père, instituteur, de sa mère, femme au foyer qui donne des leçons de musique, et, surtout, de son frère Joël, à la voix d'ange, de deux ans son cadet, atteint d'une maladie dégénérative, surgissent de ces parallèles familiales, ainsi que celui d'Eleonora, cette amie de son âge, évoquée à plusieurs époques.
Les rapports de Samuel, avant la fugue, avec les autres recrues, que ce soit Maillard, Grivet, Genier ou Emery, donnent des indications sur son caractère. La vie à la caserne, pendant sa fugue, donne un autre aperçu du cadre dans lequel il a vécu les semaines précédentes et du peu que l'on sait finalement de lui.
Ce qu'on lui dit un jour de lui est par conséquent un peu court: Tu n'es rien. Tu ne sais pas où tu vas. Tu n'as aucun but dans la vie. Tu sais au moins ça. Cela devrait en tout cas l'amener à réfléchir et l'inciter à ne pas seulement suivre son instinct, à ne pas répondre seulement à ses impulsions.
Car, dans la vie il faut bien aller quelque part, n'est-ce pas? C'est le sens qui peut être donné à ce subtile roman d'initiation à la vie. Laquelle change justement pour le petit homme quand il se met à marcher, même s'il doit s'émerveiller d'abord, comme Samuel le fait le tout premier matin de son évasion bucolique:
Il pénétra dans un champ de maïs et s'allongea entre les hautes tiges qui lui permettaient de ne pas être vu. Le sol était encore humide de rosée. Il contempla l'azur et éprouva la nostalgie de cette couleur rose. Il aurait pu avancer indéfiniment dans son sillage, sans poursuivre d'autre but que la perspective d'une aube fragile.
Francis Richard
Lève-toi et marche, Frédéric Lamoth, 160 pages, Bernard Campiche Editeur