Ce soir, pour sa première rencontre du lundi soir de la saison 2016-2017,
Dans Radieuse matinée, il y a un mélange de vécu et de reconstitution qu'elle a faite à partir d'une large documentation.
Le vécu, ce sont, par exemple, les moyens de reproduction des textes de l'époque, impensables au temps du numérique. Pour imprimer des tracts, on tape à la machine à écrire électrique sur des stencyls, car les photocopies sont de piètre qualité. On compose de même à la machine les colonnes de La Brèche, le journal de l'organisation.
Le vécu, c'est aussi la pauvreté de style des textes rédigés pour être distribués à la sortie des usines et qu'elle relit aujourd'hui avec un mélange d'amusement et d'affliction... Il faut dire qu'après avoir milité à la LMR, puis au Mouvement de libération de la femme, elle est devenue écrivain et que son écriture se veut artistique plutôt que militante.
Le militantisme et l'art ne font pas bon ménage, dit-elle, comme l'atteste l'art du réalisme socialiste soviétique. Pierre Fankhauser, taquin, lui fait toutefois remarquer que dans son recueil de nouvelles Pas de souci, elle s'en prend aux conditions dans lesquelles on travaille actuellement dans les entreprises. N'e revient-il pas cependant aux voix du monde, telles que la sienne, de grossir le trait?
La reconstitution, c'est, par exemple, la chute du Chili d'Allende, le 11 septembre 1973. Claudine Berthet lit avec une sobre conviction le passage qui relate cette chute dans le livre d'Annik Mahaim. A observer celle-ci, pendant cette lecture, on voit que ce récit, qu'elle redécouvre en l'écoutant lu par une autre, ne la laisse pas indifférente, qu'elle est émue et colère. Et le timbre de sa voix s'en ressent quand elle reprend la parole.
Il y a en Annik Mahaim un tel sentiment de défaite et de colère mêlée, qu'il se lit ce soir sur son visage et qu'il s'entend dans sa voix. Et ce sentiment se communique de manière palpable à celles et ceux qui ont partagé ses illusions et qui se trouvent dans la salle. C'est celui d'une militance et d'une espérance déçues.
Annik Mahaim regrette surtout, dit-elle, que la société socialiste que construisait Allende, élu légalement à la présidence de son pays, n'ait pu voir le jour...et qu'elle n'ait pu montrer ce qu'elle pouvait être dans la réalité, comme elle regrette que se perde l'histoire des grands événements de cette révolution internationale (qu'elle a appelée de ses voeux), c'est-à-dire l'histoire de la conscience.
En écrivant Radieuse matinée Annik Mahaim a juste voulu retrouver comment elle voulait changer le monde, changer la vie et elle y est sans doute parvenue, puisque même ceux ou celles qui n'ont pas partagé ses vues, voire s'y sont opposés, peuvent la comprendre, sinon l'approuver, par la magie de l'écriture, cette forme d'art qui, quand il est authentique, exprime l'humanité de celui ou celle qui tient la plume.
Francis Richard
Livres d'Annik Mahaim:
Pas de souci! Plaisir de lire (2015)
Radieuse matinée Editions de l'Aire (2016)