Aujourd'hui, l'Institut Libéral et Médecine et Liberté, en partenariat avec le Cercle Libéral Lausanne, le Cercle Libéral de Genève et le Cercle des Libertés, organisent une Journée libérale romande, sur le thème:
Système de santé: comment passer de la dépendance à la prévoyance?
Dans son message d'accueil, Pierre Bessard, Directeur de l'Institut Libéral, n'est pas porteur de bonnes nouvelles:
- les dépenses de santé ont augmenté deux fois plus que les revenus depuis l'adoption de la loi sur l'assurance-maladie, LAMal, il y a vingt ans
- cette année la hausse des primes d'assurance-maladie en Suisse romande va de 4,9% dans le canton de Vaud à 7,3% dans le Jura
- la prime mensuelle moyenne d'assurance-maladie, qui était de 173 Francs en 1996, passera à 447 Francs en 2017.
Ce sont les fruits d'une philosophie collectiviste, égalitariste, qui se caractérise par une augmentation des subventions et des réglementations, et par une baisse de la responsabilité. On parle de concurrence réglementée, où le mot important est le qualificatif.
Cette journée fait partie d'une réflexion prolongée de l'Institut Libéral sur le système de santé:
- l'an passé, il a coorganisé avec Médecine et Liberté un séminaire socratique sur Médecine et économie
- il a publié deux ans plus tôt un livre collectif: Au chevet du système de santé
La concurrence fait-elle peur aux autorités cantonales?
Gilles Rufenacht répond oui à la question, mais c'est un oui mais, parce qu'il a bon espoir que la réforme de 2012 de la LAMal, qui est un véritable big bang, sera peu à peu appliquée.
Il cite d'abord Raymond Barre: La santé n'a pas de prix, mais elle a un coût.
Gilles Rufenacht a bon espoir parce que ce n'est pas la première fois que des monopoles connaissent une fin. Il donne l'exemple des transports aériens et des télécommunications. Ce qui s'est traduit par des prix plus bas et une plus grande efficacité.
Il a bon espoir parce que désormais les hôpitaux publics emploient de nouveaux mots, ce qui est le début d'un changement de paradigme: il est question maintenant de marketing, d'efficience, de concurrence...
Qu'il s'agisse d'établissements publics ou privés, ce sont toutes des entreprises, qui ne peuvent survivre que si elles gagnent de l'argent et n'en perdent pas, ce qui distinguait naguère le secteur privé du secteur public.
Le but est de soigner avec la meilleure qualité, au meilleur prix. Il ne peut être atteint que par le libre choix de l'hôpital par le patient et par une spécialisation des établissements.
Toutefois ce qui est dans les textes n'est pas encore traduit dans les faits, d'une part parce que les cantons restent juges et parties, sont arbitres et joueurs de champ, à la fois planificateurs et gestionnaires; d'autre part parce que le secteur public a peur et leur demande protection.
Le public a raison d'avoir peur, s'il ne s'améliore pas, parce que le privé est 10% moins cher que lui. Dans le canton de Genève, on limite l'accès au privé au lieu de réformer. Dans le canton de Vaud on limite l'acquisition d'équipements lourds.
On pense que plus il y a d'offre, plus il y a de demande. Du coup on limite l'accès aux soins... Mais, en réalité, la concurrence fait peur. Ce qui est un aveu de faiblesse.
Comment concilier assurance sociale et concurrence?
L'exposé d'Yves Cuendet comporte sept points:
1. Le principe de l'assurance.
L'assurance se caractérise par:
- un regroupement de personnes
- un danger analogue
- une solidarité entre ces personnes
- une prime qui est fonction du risque, c'est-à-dire de sa probabilité et de sa gravité.
Le risque peut être représentée par une courbe de Gauss, une courbe en cloche. Les risques peuvent en effet être:
- normaux
- d'une gravité extrême: une personne mourante n'est pas assurable, la prime est incalculable
- d'une faible gravité: cela justifie l'existence de franchises.
2. Les piliers fondateurs de l'assurance-maladie en Suisse
Ce sont:
- l'obligation de s'assurer
- la prime par tête
- le libre choix de l'assureur
- la compensation des risques
- un catalogue unique de prestations
- l'obligation de contracter
- une protection tarifaire
- un financement par l'impôt et les primes
- des modèles alternatifs (qui permettent d'accorder des rabais de primes)
- une concurrence dans une certaine mesure
- des gains d'efficience rétrocédés aux assurés.
3. L'importance de la compensation des risques
Comment un assureur peut-il être bon marché?
- en maîtrisant ses coûts
- en maîtrisant ses risques.
Or il existe des risques in-assurables, d'où l'importance de leur compensation. Le problème est que cette compensation se fait au niveau cantonal, alors que les risques sont calculés sur une base nationale, à partir de moyennes, fonction de l'âge et du sexe ... D'où la limite du système...
4. Retour sur la LAmal
Ses buts ont-ils été atteints? Oui, si l'on considère que les buts étaient la solidarité et l'accès aux soins pour tous. Non, pour ce qui concerne les coûts.
La LAMal est une loi-cadre qui donne une marge de manoeuvre, mais le fédéralisme la rend inefficiente.
5. Hausse des coûts
Si la hausse des coûts des médecins est dans la moyenne des coûts, les quantités de soins, de RMI (Resonance Magnetic Imaging) et de CTS (Computed Tomography Scan) sont au-dessus.
Les facteurs:
a) dans le cadre de la LAmal:
- l'obligation de contracter
- l'augmentation de l'offre (discutable)
- l'information dissymétrique des patients et des médecins
- la couverture de prestations inutiles
b) dans le cadre général:
- le progrès
- la démographie
- le fédéralisme
- le mode de financement (dual)
- la régulation des prix et des primes
- l'absence de responsabilité individuelle
- l'inégalité des subventions suivant les cantons
6. Défis et régulations
Ce qui péjore le système, c'est donc :
- la régulation croissante
- l'obligation de contracter
- le financement dual : l'hôpital stationnaire est financé à 55% par le canton.
A quoi il faut ajouter que:
- les réseaux de santé sont très limités
- les prestations hors catalogue ne sont pas prises en compte (la prévention par exemple)
7. Conclusion
Le système de santé suisse est bon, mais cher.
En priorité, il faudrait:
- un financement moniste
- de la qualité et de la transparence
- une tarification adéquate
- la suppression de l'obligation de contracter
- une responsabilité individuelle croissante (contrats de longue durée)
- une réforme de la territorialité.
Quelle protection des données et quelle sphère privée pour les patients?
Alphonse Crespo a prêté le serment d'Hippocrate. Il constate que la tendance est à la disparition du contrat individuel entre le médecin et son patient. Or le contrat hippocratique a pour caractéristiques:
- qu'il n'y a pas d'intermédiaire entre le médecin et le patient,
- que le médecin s'engage à soigner le patient le mieux possible,
- qu'il s'engage à observer le secret médical,
- qu'il s'engage à ne divulguer sa science qu'à ceux qui ont prêté le serment.
Alphonse Crespo est bien conscient qu'à l'heure d'Internet le serment hippocratique ne peut être conservé tel quel, mais il n'en demeure pas moins que la transmission de données à une tierce personne est génératrice de conflits d'intérêts et pose des problèmes d'éthique.
Or le régulateur exige de plus en plus d'être informé, fût-ce de manière anonyme. Et cette information n'est même plus de médecin à médecin, mais de médecin à institution.
Par ailleurs la transmission de toutes ces données est chronophage, ce qui laisse moins de temps à consacrer aux patients.
Fabienne Gay-Crosier parle de deux projets qui montrent que le régulateur est effectivement de plus en plus exigeant en matière de données et qu'il entend piloter le système de santé:
- le projet MARS (Modules Ambulatoires des Relevés sur la Santé), mené par l'OFS (Office fédéral de la statistique), dont la base légale est l'art. 59a de la LAMal, en vigueur depuis le 1er janvier 2016, prévoit la surveillance de la qualité des médecins en leur demandant notamment:
. leur genre d'activité et leurs moyens en personnel et en équipement
. leur nombre de patients
. leurs comptes
. leurs indicateurs de qualité
- le projet OBELISC (Objective Evaluation and Leadership in Scientific Health), mené par l'entreprise New Index, dont la base légale est l'article 31 de l'ordonnance sur l'assurance-maladie, OAMal, RS 832.102, prévoit des données nominatives sur les fournisseurs de prestation et s'intéressent à leur qualité et à l'évolution de leurs coûts.
Aujourd'hui, dans la spécialité de Fabienne Gay-Crosier, l'allergologie, les connaissances évoluent à une grande vitesse, ce qui fait de l'époque une période scientifique fantastique. Or cette quête obligatoire de données considérables lui rend a contrario l'époque catastrophique, et l'amène à s'interroger sur le but poursuivi par le régulateur.
Le but du régulateur n'est-il pas de reconnaître que les prestations doivent être faites non pas par le médecin, mais par une instance supérieure? Ne s'agit-il pas d'exclure les patients qui n'ont pas le profil de certaines pratiques? etc.
Or, pour Fabienne Gay-Crosier, comme pour Alphonse Crespo, il s'agit, en tant que médecin, d'intégrer l'art du soin à la biologie, c'est-à-dire de conjuguer l'art et la science, pour lutter contre la souffrance humaine. Seul un mandat personnalisé permet d'y parvenir, ce qui suppose la responsabilité du médecin dans ses choix médicaux, mais également sociaux/politiques.
Médecine dentaire: un cas d'école.
La médecine dentaire, rappelle Olivier Marmy, est financée à 89% par les patients eux-mêmes. Il n'y a de prise en charge, selon l'article 31 de la LAMal que dans le cas de maladie grave et non évitable.
Olivier Marmy prend l'exemple des caries pour montrer, chiffres à l'appui, combien le comportement individuel peut avoir de l'importance. Le fait de se faire contrôler régulièrement permet en effet au patient de faire de grandes économies, à la fois directement et indirectement, parce que ce qu'il fait pour ses dents a un effet sur l'ensemble de sa santé.
La médecine dentaire se caractérise par un rapport direct du médecin avec son patient, ce qui le conduit à tenir compte de sa situation psycho-sociale et engage sa responsabilité de praticien. Le patient lui aussi a sa responsabilité engagée. Un professeur d'Olivier Marmy a illustré celle-ci par un exemple:
Qu'emporteriez-vous sur une île déserte? Une brosse à dents ou un dentiste? La bonne réponse est: une brosse à dents.
Mais le fait que la LAMal ne prenne pas en charge la médecine dans la plupart des cas ne pose-t-il pas le problème d'une assurance dentaire obligatoire? Michel Marmy répond que le nombre de patients qui renoncent à des soins dentaires est deux fois moins élevé en Suisse qu'en France...
De plus, Michel Marmy a relevé, sur le site d'Economiesuisse, ces chiffres éloquents sur ce que représentent en moyenne plusieurs dépenses annuelles en Suisse:
- 7'752 Francs sont consacrés au divertissement
- 8'712 Francs à la santé
- et seulement 489 Francs à la santé bucco-dentaire (y compris les soins de confort et esthétiques).
Enfin le coût du projet d'assurance dentaire obligatoire se monterait à 350 millions de Francs par an, qui devrait être financé par des cotisations de 1,2 à 1,5% sur les salaires.
En conclusion, la médecine dentaire suisse est un cas d'école, basé sur:
- la prévention
- un rapport direct entre patient et praticien
- la responsabilité des deux parties.
Dr Laurent Seravalli, médecin, La Chaux-de-Fonds, et Jean-Hugues Busslinger, Centre Patronal, Paudex
Face aux défis, quelles évolutions?
Ce que dit Jean-Hugues Busslinger est quelque peu redondant avec ce qui a été dit au début de la journée sur ce qui caractérise la LAMal:
- une assurance obligatoire
- un catalogue (qui a subi une inflation avec le temps: il comporte 108 pages...)
- le libre choix de l'assureur
- le rôle des cantons qui sont à la fois planificateurs et acteurs.
Dans ces conditions Jean-Hugues Busslinger ne voit pas comment le privé pourrait sortir gagnant de la course avec le public. Et il donne l'exemple des PIG (Prestations d'intérêt général) qui sont des dotations aux hôpitaux publics. Elles sont variables dans leur attribution d'un canton à l'autre. Ainsi 15% sont consacrés à la formation dans le canton de Genève et 87% dans le canton de Zurich, ce qui introduit des distorsions de concurrence plus ou moins grandes avec le privé.
En tout cas, dans le canton de Vaud, on assiste à une main-mise de plus en plus grande de l'État sur le système de santé, ce qui a pour effet de multiplier les obligés et ce qui correspond à une philosophie:
- le refus des bénéfices
- l'égalité érigée en dogme, ce qui se traduit par un contrôle renforcé.
Jean-Hugues Busslinger donne les exemples:
- du projet de répartition des établissements hospitaliers en quatre régions avec un directeur unique nommé par le Conseil d'État
- des mises en réseau d'abord volontaires, puis obligatoires, pour aboutir à une intégration.
Quelles sont les pistes pour endiguer cet envahissement étatique?
- casser l'assurance obligatoire (c'est politiquement impossible)
- abolir l'obligation de contracter
- maintenir la planification par les cantons, mais leur retirer la gestion
- redonner leur autonomie aux établissements pour leurs investissements.
Quand il était enfant, son parrain avait offert à Laurent Seravalli un jeu de construction très particulier: Badaboum. En fait, pour que les 21 pièces en bois de ce jeu d'adresse et d'équilibre tiennent ensemble, tout reposait sur un mot l'alignement.
Cette idée d'alignement sur quelque chose est applicable au système de santé. Il faut savoir ce que l'on veut. Après seulement se pose la question: comment?
Laurent Seravalli donne l'exemple de Mayo Clinic aux États-Unis: son excellence résulte d'un alignement de tous, celui de donner la priorité au besoin du patient sur le résultat (en général estimé à 20% d'EBITDA). Car, sans alignement de tous sur un objectif, dans un système de contraintes, tout se casse la figure...
Francis Richard