Les deux livres de Maurice Chappaz réunis dans ce volume de poche sont tous deux livres poétiques. L'un est lyrique, l'autre satirique. Le premier a paru en 1953, le second en 1976, et le temps écoulé entre les deux explique que le poète soit passé d'un genre l'autre, les circonstances ayant considérablement changé entre-temps.
Le Testament du Haut-Rhône, comme Les Maquereaux des cimes blanches, sont proses poétiques d'amour pour le Valais, région unique au monde pour Maurice Chappaz (et pour d'autres), et l'éditeur les a rassemblés à dessein en un seul volume pour le centenaire de la naissance du poète, commémorée jour pour jour aujourd'hui.
Dans le Testament, le poète n'est certes pas complètement serein, mais son amour est encore largement comblé par ce qu'il voit et par ce qu'il ressent. Il n'est pas complètement serein peut-être parce que se disputent en lui deux Grâces, la Grâce poétique et l'Autre, l'immanence d'homme de chair et la transcendance d'homme de foi.
Il n'est pas non plus complètement serein parce qu'il pressent que le véritable paradis sur Terre qu'est le Haut-Rhône valaisan, où il vit et où il est encore parcouru de pensées heureuses, n'est pas éternel, qu'il vit ses derniers moments et qu'il n'échappera pas davantage que d'autres lieux aux dégâts de l'étrange crise du temps présent:
La Parole venue de l'Orient se dissipe dans notre sommeil et en nous se dégradent les signes divins. L'humanité n'est plus, la nature n'est plus.
Dans ce livre, il y a donc à la fois volonté de tester pour le monde défunt, au risque d'oublier de témoigner de l'Autre, et volonté de deviner ce qui adviendra inéluctablement, semble-t-il, en en détectant les signes annonciateurs. Ce qui donne, d'une part, des envolées lyriques telles que celles-ci, qui ne peuvent que remuer l'âme:
J'ai eu parfois l'impression d'être une rose, un village qui fume, une forêt d'hiver, une route où des arbres caparaçonnés de gel tremblent parmi les lueurs, des pruniers aux lichens jaunes. Nos sens et nos pensées se réfractent un instant dans les choses comme pour les féconder et il semble qu'une énigme en jaillit, fragile annonciation du monde qui se dégage de ses limbes.
Ce qui donne, d'autre part, des paroles prémonitoires, telle que celles-ci, qui ne peuvent que la remuer tout autant, autrement:
C'est à de grandes destructions que nous sommes conviés. Devant les figures écrites sur les os et les pierres ensevelies, je suppute le sens même du chant et ce but, ultime, épique, mystérieux des scribes quand ils doivent tracer les signes telles les mouchetures des oeufs, afin de permettre à un pays de passer.
Près d'un quart de siècle plus tard, le ton change parce que les pressentiments sont devenus réalités, parce que l'amour charnel pour une terre a été douloureusement meurtri. Et un amour blessé, surtout quand il l'est par des personnages sans vergogne et sans scrupules, ne peut susciter qu'une sainte colère, et les imprécations qui vont avec:
L'arche d'alliance a brûlé
mais elle était assurée.
Maffia in excelsis !
Vous n'avez pas rongé les mayens? assommé, bétonné la plaine? Enfumé le ciel? Ni tari les sources bien sûr.
- Comment cela va-t-il finir?
- Par la servitude-pourriture; ou par la catastrophe-renaissance.
Je sens le Valais comme un hareng sent la mer.
Ils ont sodomisé le pays jusqu'à ce que les cimes blanches leur tombent dessus comme des icebergs.
Ce livre suscita une campagne de presse violente de la part du Nouvelliste et des attaques personnelles contre le poète, qui, dix ans plus tard, se vit remettre le Prix de la consécration de l'État du Valais...
Francis Richard
Testament du Haut-Rhône suivi de Les Maquereaux des cimes blanches, Maurice Chappaz, 160 pages, Zoé