Il n'est pas rare que le lecteur de Pascal soit entraîné dans ses propres contradictions comme le pêcheur dans les eaux profondes lorsque la barque chavire. Plus souvent encore, il le lit selon sa nature ou selon la vérité qu'il lui plaît de trouver.
Roland de Muralt ajoute: Ainsi n'y a-t-il pas un seul Pascal, mais en lui toutes sortes de personnages: le sceptique, le janséniste dogmatique, le misanthrope, l'apologiste, le joueur, le couturier, le convulsé, le raisonnable ou encore le génie effrayant comme le définissait Chateaubriand.
Dans Traité du vide, titre qu'il tire du Traité du vide incomplet de Blaise Pascal, qui fait partie de ses oeuvres physiques et qui est audacieux pour l'époque, l'auteur dit d'emblée que ce dernier n'est pas, et n'a jamais été, pour lui un maître de sagesse, mais plutôt un générateur de haute tension ainsi qu'un compagnon bien incommode.
Le fait est que Pascal ne peut laisser le lecteur indifférent, et Roland de Muralt, qui a pendant des décennies fréquenté son oeuvre et connaît bien son existence, au point de se risquer à la supposer par moments, dit que ses écrits, dont [il s'est] beaucoup occupé, [lui] ont permis de puiser en eux autant de raisons d'espérer que de trouver des motifs de désespérer.
Il n'est pas toujours facile de démêler les raisons d'espérer que l'auteur y puise et les motifs de désespérer qu'il y trouve. Ce qui ressort toutefois de ses propos, c'est qu'il le considère comme suprêmement intelligent, et qu'il regrette qu'il ne l'ait pas été dans des domaines qu'il aurait aimé voir aborder par lui, et où son ironie aurait certainement fait merveille.
Du célèbre pari, il est évidemment question: Son pari, dans lequel un bien curieux raisonnement fondé sur le calcul des probabilités se substituera aux preuves métaphysiques de l'existence de Dieu, devra précisément infuser chez le libertin cette inquiétude qui lui manque...
(Ce raisonnement est en effet curieux. Il a été analysé et démonté par le mathématicien Emile Borel, dans le cadre de la théorie moderne des probabilités: la probabilité de l'éventualité de l'existence de Dieu est en fait nulle et, si elle se produit, comme le gain est infini, le produit de la probabilité par un gain infini est de ... zéro.)
Comme le dit justement, Roland de Muralt, contrairement à Descartes qui pensait que la raison permet de démontrer l'existence de Dieu, chez Pascal Dieu échappe à la raison qui ne sert alors qu'à éclairer le choix pour l'existence avec Dieu. Tant il est vrai que, pour Pascal, il existe trois ordres (l'auteur aurait peut-être dû les rappeler) qui éclairent ses Pensées fragmentées:
- l'ordre de la chair: les yeux sont les juges légitimes de la vérité des faits;
- l'ordre de l'esprit: la raison est le juge légitime des choses naturelles et intelligibles;
- l'ordre de la foi: l'Écriture et les décisions de l'Église sont les juges légitimes des choses surnaturelles et révélées.
Roland de Muralt a-t-il donc raison de dire qu'avec ces fragments, il produisait des éclats plus lourds que des chutes de tissus et qu'il écrivait à l'image du monde physique? Ou encore que dans les Pensées, quelque chose a résisté à l'achèvement, évitant ainsi que les interrogations devinssent des affirmations?
Si le lecteur a présent à l'esprit de quel ordre relèvent les interrogations qui s'y trouvent, alors il lui est possible d'y découvrir quelques pistes de réponses, sans aucune certitude, cependant, bien entendu...
Francis Richard
Traité du vide - Propos sur Pascal, Roland de Muralt, 176 pages Éditions de l'Aire