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13 août 2017 7 13 /08 /août /2017 21:40
Cathala - L'auberge de ma mère, de Madeleine Knecht Zimmermann

Dans les années qui suivent la Grande Guerre, la Suisse connaît une importante crise économique et une grande pauvreté: De nombreuses usines avaient fermé leurs portes parce que les hommes étaient aux frontières. Les exportations de produits de luxe, mécanique de précision, dentelles, indiennes, soieries, étaient gelées...

 

Alors, des Suisses, en grand nombre (90'000 en quatre ans), émigrent d'eux-mêmes ou sont incités à le faire par l'Office fédérale de l'émigration. Une des destinations qui connaît un véritable engouement à partir de 1920, c'est le sud-ouest de la France. Ils y viennent de tous les cantons, mais les Vaudois et les Bernois sont les plus nombreux.

 

Le père de Madeleine Knecht, Marc-Alfred Zimmermann, est pasteur. L'Église méthodiste suisse l'envoie en 1946 dans sa paroisse d'Agen, dans le Lot-et-Garonne, fondée vingt ans plus tôt à la demande de quelques Suisses émigrés. Ce choix est d'autant plus judicieux qu'il est Vaudois, de mère bernoise, et qu'il parle le français et l'allemand.

 

Le pasteur Zimmermann s'installe avec sa femme et ses trois filles dans l'inoubliable demeure qu'est le manoir de Cathala, qui leur est prêté, qui va devenir l'auberge de la mère de l'auteur, son caravansérail. Car cette famille de trois puis de quatre enfants ne peut occuper à elle seule cette grande maison entourée d'un parc avec ses arbres:

 

Ils sont vieux, ils étaient déjà là quand nous habitions encore en Suisse. Ils sont nés avant la guerre, avant mon père et mon grand-père. Ils protègent la maison, les cèdres surtout qui agitent leurs bras pour nager dans le vent. Quand ils sont heureux, ils chantent comme des orgues pour accompagner les oiseaux.

 

L'auteur, née en 1943, va y vivre de 1946 à 1962 et, peu à peu, s'intéresser à l'émigration, dans ce coin de France, de ces Suisses, qui ne parlent de loin pas tous le français. Ce qui est le cas de sa mère, laquelle a bien du mal à se sentir en sécurité une fois franchies les limites de Cathala, où, solide, forte, généreuse, elle règne en maîtresse des lieux.

 

Pour raconter l'histoire de ces émigrés suisses, venus peupler une région désertée par ses habitants originels, elle s'est servie de notes et de photos qu'elle a prises, et du cahier d'adresses de son père, gribouillé des remarques qu'il prenait après ses visites. Ce cahier réveille des morts, restaure des métairies détruites depuis longtemps:

 

Ses pages sont presque toutes tachées, cornées, mais quand je les tourne, elles font entendre des voix ou le ronflement de la voiture qui suit un chemin de campagne entre des haies d'aubépines. Les noms de ces fermes, de ces bourgs suspendent le temps, abolissent les années, me rendent des visages ou des maisons, des odeurs et des sons.

 

Ce livre rend hommage à ces Suisses courageux, qui, tous, à quelques exceptions près, ont émigré parce qu'ils étaient au chômage, n'étaient pas tous des paysans mais le sont devenus (ils se sont adaptés), se sont endettés pour des dizaines d'années et ont eu parfois les éléments contre eux, telles les crues de la Garonne.

 

Madeleine Knecht raconte aussi Agen, et environs, et sa vie d'enfant au cours de ces années: comment, par exemple, alors que ses langues maternelles sont l'allemand et le bernois, avant d'aller à l'école, elle assimile la langue du pays, en trois ans, sans rien dire. Elle raconte aussi les Gascons, gens courtois qui gagnent à être connus. Et son père:

 

Mon père n'était pas dogmatique, ce qui lui importait c'étaient les gens. Pour ses paroissiens, et surtout pour les plus pauvres, il aurait donné sa vie. Il souffrait avec eux de leurs désespoirs, portait leurs inquiétudes et leurs querelles, y réfléchissait sans cesse, espérant patiemment un dénouement heureux.

 

Alors qu'un collègue lui demande de ne plus permettre de communier à un homme qui trompe sa femme, il répond, évoquant le Seigneur: Est-ce que c'est notre tâche de juger et de décider qui il accueille et qui il rejette? Qui nous fait juge? Je n'ai pas déménagé ma famille de mille kilomètres pour mettre dehors des gens qui viennent communier...

 

 Francis Richard

 

Cathala - L'auberge de ma mère, Madeleine Knecht Zimmermann, 240 pages Editions de l'Aire

 

Livre précédent:

Olga (2014)

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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