Ceci n'est pas une sottie, aurait dit Magritte. Mais c'en est une... puisqu'elle permet à Christophe Gaillard de tout dire et de le dire sur tous les tons...
Même dans une sottie, cependant, il est nécessaire de se donner un cadre. Alors le cadre est une pension de la rue Tournefort à Paris, à la fin du siècle passé:
On y entre par une porte bâtarde, surmontée d'un écriteau sur lequel est écrit: Maison-Bouvier, et dessous: Pension bourgeoise des deux sexes et autres. Chiens bienvenus.
Les chiens sont tellement bienvenus qu'ils y sont des personnages à part entière et les humains des deux sexes et autres y ont des patronymes très canins.
(La couverture de l'ouvrage représente d'ailleurs un détail du Chien de Francisco Goya)
La concierge, madame Berset, a deux chiens, un berger allemand à long poil brun, Russo, et une jeune caniche noire, Lola.
Au premier, madame Bouvier en a un, Bernie (un dévoreur de livres), et la belle et désirable mademoiselle Virginie Le Braque (qui a du chien), en a un également, Charlus, un danois.
Au second, Henri Lépagnol en a un, qui tient du fox-terrier et de bien d'autres races, mais Horace Levriller, étudiant en troisième année de médecine, lui, est le seul à ne pas en avoir.
Quand Horace ne promène pas Bernie, c'est Clodo qui s'en charge: Claude-Étienne Leterrier a lui-même un chien, Giscard, une boule de poils sans espèce particulière.
Il s'en passe des choses dans cette sottie savoureuse qui tient les promesses de son prologue: on s'y balade en bus, à pied, en courant; on y assiste à deux enterrements; on participe à un colloque... de chiens, etc.
Cela donne l'occasion à l'auteur sinon de tout dire, du moins de dire beaucoup, et sur tous les tons: on y passe par exemple du sourire à l'affliction et de la farce au recueillement...
Les divers récits et tons ne sont pas exclusifs de profondeur. Et l'oxymore du titre, Chienne de vie magnifique, illustre bien la contradiction inhérente à l'humaine condition.
Il n'est donc pas étonnant que les chiens en leur colloque se posent cette question qui les tourmente:
Pourquoi les hommes, qui nous appellent leurs plus fidèles amis, se servent-ils de notre nom pour vouer aux gémonies leurs ennemis les plus acharnés?
Francis Richard
Chienne de vie magnifique, Christophe Gaillard, 244 pages, Éditions de l'Aire
Livre précédent:
Une aurore sans sourire (2015)