Cabinotiers: horlogers genevois généralement issus de "La Fabrique" qui avait fait la renommée de Genève au XVIIIe siècle.
La Fabrique: l'ensemble des métiers de l'industrie bijoutière et horlogère genevoise du XVIIIe siècle à la fin du XIXe.
La fille du cabinotier est l'histoire de Jeanne Chevrant, née le 28 mars 1887, fille d'Ernest et de Pauline. L'auteure fait commencer son histoire en 1894 et la fait s'achever pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ernest était donc un cabinotier, tel que défini ci-dessus. Du fait de la crise horlogère des années 1870, sa situation n'est plus bonne: il ne produit plus, il travaille à domicile, où il répare des horloges en particulier.
Pauline, qui a vingt ans de moins qu'Ernest, épuisée avant l'âge, a mené à terme huit grossesses, mais seuls quatre de ses enfants ont survécu, uniquement des filles: Julia, Amélie, Jeanne et Fanny.
C'est la misère chez les Chevrant: ils ne mangent pas à leur faim. Aline, la benjamine est morte d'inanition un an plus tôt dans les bras de Jeanne. Alors Pauline se résout, honteuse, à demander l'aumône.
Pauline écrit à l'Asile central genevois, une institution qui va apparaître à plusieurs reprises dans le récit. Mais son aide initiale ne suffira pas, non plus que, plus tard, les quelques sous que ramènent Amélie et Jeanne.
L'affection de Pauline va en priorité à Julia, à Fanny: mais Amélie et Jeanne, non, ces filles-là elle ne les reconnaît pas vraiment comme siennes. Elles lui sont comme étrangères, d'une autre nature.
Est-ce ce manque d'affection originel qui va influer sur leur destinée? Toujours est-il qu'Amélie et Jeanne vont connaître une existence remplie de davantage de peines que de plaisirs et de joies.
Le contexte économique n'est jamais favorable: il y a la crise dans l'horlogerie, la guerre (même si la Suisse ne fait pas partie des pays belligérants), les faillites d'entreprises, la guerre à nouveau.
Le contexte sociologique ne l'est guère non plus, favorable: il ne fait pas bon d'avoir des relations hors mariage (c'est mener une vie dissolue), encore moins d'avoir alors des enfants non désirés.
Car, à ce moment-là, on n'est pas digne d'élever ces enfants, d'avoir même des contacts avec eux, a fortiori si on n'a pas de moyens suffisants, quelle que soit la volonté que l'on ait de travailler pour s'en sortir.
La haute n'est pas présentée de manière manichéenne: d'aucuns se conduisent certes de manière infâme avec les pauvres gens, mais d'autres font preuve d'une sincère philanthropie à leur égard et leur sont fidèles.
Les deux soeurs qui s'aiment, Amélie et Jeanne, connaissent plus de bas que de hauts. Quand les choses semblent aller un peu mieux, un coup dur les frappe comme s'il leur était impossible de jamais émerger.
Le tableau de cette époque, que peint avec précision Pierrette Frochaux, n'est pas bien réjouissant. Le livre aurait pu avoir pour titre Les misérables, mais celui-ci était déjà pris. En tout cas, difficile de dire, après l'avoir lu:
C'était mieux avant...
Francis Richard
La fille du cabinotier, Pierrette Frochaux, 280 pages, Plaisir de Lire