Il y a quelques décennies le narrateur, Jean Eyben, s'est vu confié une enquête par l'agence de Hutte. Il s'agissait de retrouver Noëlle Lefebvre, disparue tout soudain.
Son enquête n'avait pas abouti. Mais, en quittant l'agence, quelques mois plus tard, il avait emporté avec lui, en souvenir, le dossier bleu qui en contenait la fiche.
Dans la table de nuit de la chambre où Noëlle avait passé quelques temps, Jean avait découvert, dissimulé derrière un tiroir, de moitié plus court que celle-ci, un agenda.
C'était un agenda de toile noire avec le chiffre de l'année en caractères dorés. Dans cet agenda, qui appartenait à Noëlle, il n'y avait que quelques notes à l'encre bleue.
Ces notes ne lui permettent pas de combler les blancs de la vie de Noëlle. Tout au plus, peuvent-elles lui faire surgir quelques bribes du passé en laissant courir sa plume:
Oui, les souvenirs viennent au fil de la plume. Il ne faut pas les forcer, mais écrire en évitant le plus possible les ratures. Et dans le flot ininterrompu des mots et des phrases, quelques détails oubliés ou que vous avez enfouis, on ne sait pourquoi, au fond de votre mémoire remonteront peu à peu à la surface.
Ces détails ne remonteront pas, un par un, à la surface dans un ordre chronologique, mais au détour d'une page, comme si tout était déjà écrit à l'encre sympathique.
Alors il pourra trouver les réponses aux questions qu'il se pose sur la disparition de Noëlle et la raison pour laquelle il se les pose. Car il en est de plus en plus convaincu:
Si vous avez des trous de mémoire, tous les détails de votre vie sont écrits quelque part à l'encre sympathique.
Jean s'en est laissé convaincre parce qu'il y voit une analogie avec les notes prises par Noëlle dans son agenda: il a l'impression d'y voir des traces d'écriture en filigrane.
Soit, à l'aide d'une substance déterminée, tout ce qu'elle a noté remontera à la surface de la page blanche; soit, naturellement, avec le temps, tout deviendra lisible.
Quoi qu'il en soit, le lecteur comprendra in fine pourquoi l'auteur a mis en épigraphe cette citation de Maurice Blanchot, tirée du Livre à venir, sur la mémoire et l'oubli:
Qui veut se souvenir doit se confier à l'oubli, à ce risque qu'est l'oubli absolu et à ce beau hasard que devient alors le souvenir.
Francis Richard
Encre sympathique, Patrick Modiano, 144 pages, Gallimard
Article précédent sur l'auteur:
Patrick Modiano à Stockholm (8 décembre 2014)
Livres précédents:
L'herbe des nuits, 192 pages (2012)
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, 160 pages (2014)
Souvenirs dormants, 112 pages (2017)