Comme la fin du monde n'a pas eu lieu en 2019, enfin pas encore, il reste 5 jours à passer, force est de constater que le journal que tient Julie Guinand pendant 162 jours, depuis la catastrophe, est oeuvre de fiction.
En tout cas, un beau jour, l'électricité est coupée, le téléphone fixe n'a plus de tonalité. Cela n'est guère rassurant quand on se trouve au milieu de nulle part, au bord du Doubs. Et le deuxième jour, cela commence à bien faire:
Ma bonne humeur résiste au mutisme de la machine à café, à celui de l'imprimante, de mon chargeur de téléphone. Elle cède lorsque j'ouvre le frigo: éponger le centimètre d'eau stagnante me met en rogne.
Tout ce qu'elle a l'habitude de faire sur Internet devient impossible. Elle résiste à la tentation d'y aller pendant un jour supplémentaire, mais allume son ordinateur au milieu de la nuit du troisième et clique sur le logo de Firefox:
Hum, nous ne parvenons pas à trouver ce site. Ça me fait pleurer.
Elle doit se rendre à l'évidence: c'est parti pour durer un moment. Et se rend également compte de toutes les inventions géniales qu'elle utilisait sans y penser, en les trouvant seulement jusque-là moyennement géniales.
Dès le début, elle tient un journal, ce qu'elle n'a pas fait depuis ses dix-sept ans. Au bout de trois semaines, elle sait qu'il y a un avant et un après qu'elle doit réorganiser sa vie, s'adapter (ce que l'être humain doit faire toujours):
Je peux/dois tirer un trait sur les soirées télé (en pleine saison finale de Jane The Virgin, ça fait vraiment ch...).
Je dois apprendre à me passer de douches chaudes, de lumière, de crème glacée, de musique (de musique!).
Dès lors le journal devient le récit, plein d'humour, de cette nouvelle vie, qui a ses bons et ses mauvais côtés: ainsi le vingt-huitième jour, en regardant le calendrier, elle fond en larmes parce qu'elle a trente ans ce jour-là.
Et puis, peu à peu, le lecteur apprend qu'elle n'est pas venue seule un an plus tôt et que la fin du monde lui serait supportable s'il était là. Elle se demande même si elle aurait eu lieu s'il avait été là, une rupture entraînant l'autre.
Elle pourrait rester là où elle est maintenant qu'elle s'est bien adaptée à son nouveau monde: elle n'a jamais autant lu, marché, travaillé ou écrit. C'est compter sans l'esprit d'aventure qui s'insinue en elle par petites bouffées:
Un seul espoir insensé me retient ici: celui que tu reviennes un jour.
Francis Richard
Survivante, Julie Guinand, 144 pages, éditions d'autre part
Livre précédent:
Dérives asiatiques (2016)