Marcel Proust, né en 1871, obtient le Prix Goncourt en 1919 pour A l'ombre des jeunes filles en fleurs, deuxième volume de la Recherche.
L'année 2020 est donc une année particulière pour les amoureux de Proust. Elle se situe entre deux anniversaires, celui du centième de son prix littéraire et du cent cinquantième de sa naissance.
C'est pourquoi des poètes francophones, sous la direction de Danièle Duteil et de Patrick Simon, rendent hommage cette année à l'écrivain hors du commun dans Autour de Proust.
Pour ce faire, ces poètes, femmes et hommes, ont pris leur plus belle plume, à partir de cinq citations extraites de la Recherche:
Cet escalier détesté où je m'engageais toujours si tristement exhalait une odeur de vernis qui avait en quelque sorte absorbé, fixé, cette sorte particulière de chagrin que je ressentais chaque soir, et la rendait peut-être plus cruelle encore pour ma sensibilité parce que, sous cette forme olfactive, mon intelligence n'en pouvait plus prendre sa part.
( Du côté de chez Swann)
Empourpré des reflets du matin, son visage était plus rose que le ciel. Je ressentis devant elle ce désir de vivre qui renaît en nous chaque fois que nous prenons de nouveau conscience de la beauté et du bonheur.
(A l'ombre des jeunes filles en fleurs)
Dès le matin, la tête encore tournée contre le mur et avant d'avoir vu au-dessus des grands rideaux de la fenêtre de quelle nuance était la raie du jour, je savais déjà le temps qu'il faisait.
(La prisonnière)
Le ciel tout entier était fait de ce beau bleu radieux et un peu pâle comme le promeneur couché dans un champ le voit parfois au-dessus de sa tête, mais tellement uni, tellement profond, qu'on sent que le bleu dont il est fait a été employé sans aucun alliage, et avec une si inépuisable richesse qu'on pourrait approfondir de plus en plus sa substance sans rencontrer un atome d'autre chose que de ce même bleu.
(La prisonnière)
Sans laisser de côté ces mystères qui n'ont probablement leur explication que dans d'autres mondes et dont le pressentiment est ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l'art.
(Le temps retrouvé)
Chaque contribution commence par une de ces cinq phrases, qui y est incorporée et comporte ce qu'on appelle au Japon des tanka-prose et des haïbun, autrement dit des textes où se juxtaposent poésie et prose.
Dans leur préface, les éditeurs expliquent l'effet recherché:
Le tanka s'immisce presque dans la prose comme une narration dans la narration. Jouant parfois sa partition dans une autre dimension, il peut creuser un décalage spatio-temporel intéressant.
Un peu plus d'une trentaine d'auteurs se sont prêtés à cet exercice avec pour résultat un peu plus d'une quarantaine de textes.
Tous ces poètes sont francophones, la plupart d'entre eux vivent en France, mais cinq d'entre eux s'expriment depuis le Canada, la Belgique, la Suisse, et même depuis la Roumanie et l'Italie.
Pour chacune ou chacun, c'est l'occasion originale, avec sa sensibilité, de retrouver le passé, le temps qu'elle ou il croyait avoir perdu, en employant le plus souvent l'imparfait dans leur prose et en se tournant vers le futur proche.
Francis Richard
PS
Les poètes du recueil sont par ordre alphabétique:
Claudine Baissière, Blandine Berne, Daniel Birnbaum, Régine Bobée, Micheline Comtois-Cécyre, Chantal Couliou, Gisèle Cribaillet, Marie Derley, Nathalie Dhénin, Hélène Duc, Danièle Duteil, Patrick Faucher, Jacques Ferlay, Alhama Garcia, Joëlle Ginoux-Duvivier, Patricia Hocq, Guilhem Joanjòrdi, Lavana Kray, Martine Le Normand, Nadine Léon, Françoise Maurice, Francine Minguez, Catherine Monce, Jo(sette) Pellet, Jean-Pierre Petit, Germain Rehlinger, Marie-Jeanne Sakhinis de Meis, Sylvie Salaün, Françoise Serreau, Patrick Simon, Salvatore Tempo, Michelle Tilman, Sandrine Waronski
Autour de Proust: Tanka-Proust Haïbun-Proust, Collectif, 168 pages, Éditions du tanka francophone