Les carnets de Pierre-Alain Tâche sont révélateurs. Ils permettent de connaître l'homme sur une longue durée, puisque ce premier Champ libre couvre la période de 1968 à 1993, soit un quart de siècle.
En 1968, le poète résiste à la tentation d'intégrer les leçons des nouvelles sciences, admises à recadrer toute activité humaine, et s'insurge contre le sort fait à ce qui a nourri la sensibilité de sa génération:
Lire Hölderin ou Ronsard, préférer du Bouchet à Aragon, sera bientôt tenu pour une déviance élitaire. (7.XII.68)
En 1970, il ne cède pas à la potentielle dictature de l'esprit de certains, qui tendrait à instaurer la primauté de la conceptualisation, du débat abstrait sur ce que l'acte de création possède d'immédiat:
On ne fera pas croire que le poème puisse tirer sa force et sa légitimité d'un quelconque fondement dogmatique. (15.XI.70)
Bien qu'il ne soit pas le moins du monde religieux, il envisage le sacré, désignant par là la vibration du transcendant, comme une modalité de l'expérience poétique, ce qui est mal considéré de nos jours:
L'excès de rationalité consiste à considérer que ce qui, pour l'heure, échappe à notre compréhension reste à découvrir (et c'est l'attitude de nombreux scientifiques qui évacuent ainsi le doute métaphysique). (16.IX.73)
Quelques années plus tard, il reste sur la même trajectoire - le poète, à mes yeux, demeure un être foncièrement subjectif, écrivait-il le 21.III.71 - et se donne des directives personnelles pour la garder:
Peut-être s'agit-il seulement de ceci: faire au plus près ce que l'on a à faire sans se soucier des modes et de la rumeur du temps; être en jaillissement à la frontière du visible et de l'invisible, du dedans et du dehors; aller où porte l'intuition... (24.IV.82)
Il ne se soucie pas d'être conforme à l'esprit du temps. Sa subjectivité assumée se retrouve au fil des années dans ce qu'il dit des poètes, des musiciens ou des peintres qu'il aime un peu, beaucoup, pas trop:
Comment ne pas m'interroger sur l'énigme, cent fois renouvelée, de l'émotion vive et soudaine que je puis ressentir en découvrant certains tableaux? (14.X.90)
Ses carnets sont agrémentés de citations, telle celle, figurant au dos du Georges Perros de Jean Roudaut, qui ne laisse pas de l'éblouir par cette acuité de la pensée et par cette justesse de ton, qui sont la marque certaine de Perros:
Écrire est un acte religieux, hors de toute religion. Écrire, c'est accepter d'être un homme, de le faire, de se le faire savoir, aux frontières de l'absurde et du précaire de notre condition. C'est ne pas croire, c'est être certain d'une chose indicible, qui fait corps avec notre fragilité essentielle. (Papiers collés II)
Francis Richard
Champ libre I (Carnets 1968-1993), Pierre-Alain Tâche, 240 pages, Éditions de l'Aire (à paraître)