Nous sommes beaucoup à avoir appris à vivre, à aimer, à voyager à ses côtés ou auprès de ses personnages. Il a été un maître sans magistère ni mots d'ordre, nous convainquant que la liberté était une idée ancienne ne demandant qu'à revivre sur des chemins vagabonds à l'écart des modes.
Christian Authier fait cet aveu, que je fais mien.
En disciple assumé de Proust, je ne suis guère enclin à lire de biographie des auteurs que j'aime. Mais, pour Déon, je fais d'instinct une exception et comprends mieux pourquoi quand je lis le but que l'auteur s'est donné avec Les mondes de Michel Déon:
Ni biographie, ni stricte étude, ce livre fera des va-et-vient entre la vie et l'oeuvre parce que celles-ci sont particulièrement liées chez lui.
Comme Authier, et avant lui, j'ai été revigoré par la lecture d'écrivains tels que Déon et par l'expression de leurs mondes:
L'insolence, le culte de l'amitié, le panache, le refus des conformismes, l'élégance de masquer ses déceptions et ses chagrins: voilà qui nous consolait puissamment des temps où nous étions.
L'un des conformismes de l'époque, c'était la littérature engagée, celle de Jean-Paul Sartre ou d'Albert Camus, que je n'ai appréciés, avec discernement, que dans mon âge mûr.
Pour Déon, être désengagé ne signifiait pas ne jamais parler d'engagement:
Je répète que je ne plaide pas pour une littérature engagée, mais une littérature qui ne parlerait jamais de l'engagement, par principe et par entêtement, se priverait d'un spectacle exaltant et désolant de notre société si tristement autodestructrice, dit-il dans Parlons-en... (1993).
Cela ne signifiait pas non plus ne pas s'engager du tout, puisqu'il l'a fait au moment de l'Algérie, mais ce n'était pas par le biais de romans à thèse.
Aux yeux de Christian Authier, le qualifier d'homme de droite paraît trop [réducteur] et commode tant la politique ne fut au final qu'une mince pellicule dans une existence et une oeuvre autrement plus riches, plus complexes, plus subtiles.
Plutôt que le désengagement il faudrait d'ailleurs plutôt parler de détachement. Un des personnages des Poneys sauvages en donne cette leçon:
On reconnaît les hommes malhonnêtes à ce qu'ils sont tantôt constamment à gauche ou constamment à droite. Inscrit dans un parti, fidèle à ce parti ou à ses chefs, vous acceptez implicitement de truquer ou de mentir par omission.
Michel Déon s'est beaucoup établi, notamment en Grèce et en Irlande, et beaucoup promené dans le monde. Dans Partir ... (2012), il écrit:
Pour bien aimer un pays, il faut le manger, le boire et l'entendre chanter.
De s'exiler, de se promener, ne veut pas dire ingratitude:
Ce cosmopolite, cet exilé ne cessa d'être français même dans les époques où il n'aimait guère son pays ni les hommes qui le menaient. Car l'histoire, la littérature et la langue étaient des dons qu'on ne pouvait récuser.
En fait, Déon est curieux, jusqu'au bout, ce qui est loin d'être un défaut, surtout en matière littéraire:
La curiosité de Michel Déon ne s'est pas émoussé avec le grand âge. Couronné par des prix prestigieux, académicien, membre influent de prix littéraires, il n'attendait rien en retour de son soutien à des écrivains débutants.
Déon a mis plusieurs fois sur le métier Je ne veux jamais l'oublier (je l'ai lu à dix-sept ans quand je suis allé pour la première fois en Suisse et à Venise, mais je ne sais dans quelle version puisque je l'ai racheté après l'avoir perdu lors d'un déménagement...):
Je ne veux jamais l'oublier est le roman d'un éblouissement et d'un désastre ... C'est un roman léger et grave, fait de cruauté et d'innocence, de soleil et de pluie, de nuits bleutées et de petits matins blêmes.
Christian Authier ajoute:
Patrice n'oubliera pas Olivia: "Elle lui avait fait cadeau d'un sentiment immense: l'amertume. Il ne s'en débarrasserait jamais. Olivia ne saurait pas à quel point elle avait modifié sa vie, influé sur ses sentiments, décidé de sa solitude."
Christian Authier cite à la fin ce passage des Lettres de château:
Ces quelques évocations des auteurs de chevet et des oeuvres qui ont nourri ma vie disent ma gratitude. Nous sommes leurs enfants rebelles ou insoumis. J'ai vécu leurs oeuvres.
Et lui renvoie l'hommage, auquel je me joins, en le remerciant pour cette plongée dans ses mondes, qui me ragaillardit sans prétendre, grâce à elle, redevenir pour autant un jeune homme vert...
Francis Richard
Les mondes de Michel Déon, Christian Authier, 192 pages, Séguier
Articles sur les derniers livres de Michel Déon (qui a eu, paraît-il, connaissance de l'un d'entre eux):
A la légère, Finitude (2013)
De Marceau à Déon - De Michel à Félicien - Lettres 1955-2005, Gallimard (2011)
Journal 1947-1983, L'Herne (2009)
Lettres de château, Gallimard (2009)