La politique est un combat entre les progressistes et les conservateurs, et à la fin ce sont toujours les progressistes qui gagnent.
Comment sortir de ce progressisme inéluctable?
En réévaluant notre histoire intellectuelle depuis 1945 à la lumière de l'ampleur de la compromission de Martin Heidegger avec le mouvement nazi.
Quel rapport?
La filiation entre Heidegger et les grands noms français de l'antihumanisme
Le philosophe allemand détermine en grande partie le paysage philosophique de l'après-guerre, avec ses deux courants majeurs que sont l'existentialisme et la déconstruction, même si ces termes ne sont pas de lui.
Est-ce une vue de l'esprit de la part de Philippe Herlin?
Des auteurs plutôt marqués à gauche comme Emmanuel Faye et François Rastier, ou à droite comme Allan Bloom et Leo Strauss soulignent l'importance de cette filiation intellectuelle.
Quelle filiation intellectuelle?
Entre le penseur allemand et les grands noms français de l'après-guerre de la "veine antihumaniste" comme Louis Althusser, Michel Foucault, Jacques Derrida.
La compromission de Martin Heidegger avec le régime nazi
Si les livres d'Emmanuel Faye, Heidegger, l'introduction du nazisme dans la philosophie, et de François Rastier, Heidegger, messie antisémite, ne suffisent pas à d'aucuns pour lever le doute sur cette compromission, la publication (programmée symboliquement à partir de 2014) des Cahiers noirs du Maître le leur dissipera définitivement.
En lisant et en citant ces cahiers rédigés entre 1931 et 1973, Philippe Herlin constate que Heidegger est indubitablement antisémite et, même, négationniste:
Les juifs sont, en quelque sorte [pour Heidegger], victimes d'eux-mêmes, de leurs travers, de leur esprit de "machination", de leur "raison calculante", de leur "non-essence", les nazis n'ayant qu'un rôle fonctionnel dénué de toute responsabilité.
Après avoir dissimulé - après 1945, la réédition de ses cours est expurgée des passages gênants - Heidegger radicalise sa pensée avec ces Cahiers noirs.
Les dispositifs philosophiques de l'antihumanisme heideggerien
Les fondements de cet antihumanisme se trouvent dans:
- Le passage des universaux aux "existentiaux": A la différence des universaux, qui relèvent d'une pensée conceptuelle et rationnelle, les existentiaux se situent au niveau de la sensation et de l'imagination.
- La formule "Ce qui est essentiel, ce n'est pas l'homme, mais l'Être.": L'homme (sans majuscule) se trouve donc dans un rapport de dépendance à l'Être (avec majuscule), impossible à évaluer et à comprendre puisque les valeurs et la logique ont été jetées par-dessus bord.
- La fin de la vérité: L'analyse du réel, l'adéquation entre un énoncé et la réalité, la cohérence du discours, tout ceci est dévalorisé, méprisé face à une Vérité cachée et connue de quelques-uns.
- L'abolition de la pensée rationnelle: "La science ne pense pas."
- L'invocation de l'apocalypse qui dévalue le temps, le déconsidère, le ramène à une suite d'événements sans intérêt, qui s'accumulent dans la confusion et le brouillard des significations, la vie quotidienne des individus comme des nations est rabaissée à une activité brouillonne et répétitive : Les convaincus basculent dans l'enfermement sectaire, dans l'urgence pressante.
- La déconstruction et le relativisme: La conception qui suppose que la Vérité vient du passé, qu'elle a été révélée dès l'origine mais progressivement voilée et obscurcie avec le temps, implique naturellement la nécessité de la déconstruction, la mise à bas de tout ce qui s'est accumulé depuis au point de nous masquer la "vraie" réalité. L'étape suivante consiste à faire tomber la Vérité de son piédestal, à la rendre relative, et alors la déconstruction deviendra une fin en soi.
- La réhabilitation de Marx: "L'aliénation de l'homme plonge ses racines dans l'absence de patrie de l'homme moderne [...] la conception marxiste de l'histoire est supérieure à toute autre historiographie [et] devient possible un dialogue fructueux avec le marxisme." (Heidegger, Lettre sur l'humanisme, 1947)
- La destruction du langage: L'argumentation s'efface devant l'obstination fascinée pour le vocable.
Les premiers disciples d'après-guerre
Ces dispositifs philosophiques permettent à Philippe Herlin d'identifier les premiers disciples d'après-guerre:
- Hannah Arendt qui, par exemple, s'attache à transposer les existentiaux dans les sciences politiques, elle ne parle plus de nature humaine (liée au droit naturel et universelle) mais de condition humaine (existentialiste, relative, subjective).
- Michel Foucault, qui, par exemple, attaque "la culture occidentale axée depuis deux mille ans sur la définition de l'homme comme être raisonnable".
- Jacques Derrida, pour qui, par exemple, toute chose se fonde sur ce qui la nie.
L'antihumanisme aujourd'hui
L'antihumanisme s'exprime sous de multiples formes, mais l'une des principales aujourd'hui consiste à placer la morale sous la dépendance absolue du droit.
Le passage des universaux aux existentiaux se retrouve ainsi dans:
- le nouveau conformisme de la transgression;
- la maltraitance de la langue, avec pour conséquence l'effondrement de l'orthographe et de la grammaire;
- la théorie du genre, où le genre est déconnecté du sexe;
- l'antispécisme, avec l'abolition de la distinction homme/animal;
- l'euthanasie, avec la disposition de la vie des autres.
L'islamisme
Selon Alexandre Del Valle, l'islamisme remplit tous les critères du totalitarisme (nazi ou communiste) qui avait les faveurs de Martin Heidegger:
- confusion entre le spirituel et le temporel (avec la charia);
- volonté (avec le califat) de dominer le monde, mâtinée de discours apocalyptiques;
- rejet de l'individualisme;
- terreur et peur généralisées;
- fin qui justifie les moyens et mensonge qui est un devoir;
- idéocratie ou fanatisme idéologique.
Ce qui caractérise l'islamisme, c'est sa dynamique qui repose sur la mission, une image du monde facilement compréhensible et la démographie, comme l'a très bien vu Peter Sloterdijk.
L'écologisme
L'écologisme - la théorie du réchauffement climatique anthropique - est un nouveau totalitarisme, comme l'a démontré Drieu Godefridi, avec un progrès par rapport aux autres, puisqu'il institue l'homme comme cause et comme remède:
En effet, il n'est pas une seule activité qui ne génère pas du CO2 (transport, chauffage, agriculture, industrie), son émission est consubstantielle au fait d'exister, en conséquence, la réponse consiste à contraindre l'homme.
Par la coercition, il faut:
- s'en prendre aux libertés individuelles (Henri Jonas, Aurélien Barreau);
- limiter les naissances, voire, c'est mieux, réduire drastiquement le nombre d'êtres humains sur Terre (Fred Vargas, Yves Cochet);
- retourner à la civilisation préindustrielle (Yves Cochet).
Les nazis sont venus au pouvoir après la crise de 1929. Les écologistes pourraient y parvenir à la faveur d'une crise d'une gravité exceptionnelle (krach financier et économique, rupture de l'approvisionnement en pétrole suite à une guerre au Moyen-Orient, épidémie,...)...
Philippe Herlin ajoute:
Cette apocalypse du réchauffement climatique a aussi pour objectif de faire écran à la précédente [menace] qui est bien réelle, la menace islamiste.
Un totalitarisme peut en cacher un autre...
L'historicisme
Pour les Anciens (les philosophes antiques et classiques), adeptes du droit naturel, philosopher signifiait littéralement sortir de la caverne de Platon pour accéder à l'universel, tandis que les Modernes, qui défendent l'historicisme, y restent pour en étudier les détails et les déterminations.
L'historicisme conduit inéluctablement au relativisme puisque toute compréhension d'un phénomène dépend du cadre historique: autrement dit tout se vaut. Et le relativisme conduit inévitablement au nihilisme.
Comment s'imposer? En disant que l'époque que nous vivons est "à part dans l'histoire" ou en annonçant l'apocalypse. L'historicisme donne une prime à celui qui parle le plus fort, au plus séduisant, à celui qui veut le pouvoir...
Le conservatisme, oublieux du droit naturel, est lui aussi un historicisme. C'est pourquoi il n'est pas de taille à lutter contre le progressisme, qui est un historicisme plus performant:
Le conservateur est celui qui "tient"... jusqu'à ce qu'il cède, résultat c'est toujours le progressiste qui finit par l'emporter.
Le droit naturel est la réponse
Pour La Renaissance de l'Occident, le droit naturel doit retrouver sa place éminente:
- l'histoire prouve que "toute pensée humaine, et davantage toute pensée philosophique, se porte toujours aux mêmes problèmes et aux mêmes thèmes fondamentaux, et qu'en conséquence une structure immuable demeure à travers toutes les variations humaines des faits comme des principes" (Leo Strauss);
- l'idée d'une nature humaine ne peut être niée du fait que l'homme possède des attributs que les autres êtres n'ont pas: "L'éthique de la loi naturelle affirme que ce qui est bon ou mauvais peut être défini comme ce qui favorise ou au contraire ce qui empêche la réalisation de ce qui est le plus approprié à la nature humaine." (Murray Rothbard).
Philippe Herlin, avec Rothbard, précise que les Droits de l'homme ne suffisent pas, encore faut-il qu'ils soient en même temps des Droits de propriété, sinon ils perdent leur caractère précis et absolu:
"Tout homme possède une propriété sur sa propre personne. Le travail de son corps et l'ouvrage de ses mains, nous pouvons dire qu'ils lui appartiennent en propre." (Murray Rothbard)
Créer de nouveaux droits à l'infini résulte du fait que les Droits de l'homme ne sont plus formulés en termes de Droits de propriété: ils le sont alors en termes vagues et contradictoires, au nom par exemple de l'intérêt général, ce qui est prétexte à l'accroissement du rôle de l'État.
Restaurer le droit naturel
Pour échapper au totalitarisme, et restaurer le droit naturel, il faut:
- combattre le relativisme;
- déconstruire la déconstruction;
- trouver un équilibre entre les universaux, les existentiaux et la réflexion personnelle.
- retourner à la civilisation occidentale dans son intégrité prémoderne, comme Leo Strauss y invite.
C'est là qu'apparaît le conflit entre les notions bibliques et philosophiques de la vie bonne. Il semble à Leo Strauss que ce conflit non résolu est le secret de la vitalité de la civilisation occidentale...
Conclusion
Le livre de Philippe Herlin ne se termine pas sur ces considérations. En fin d'ouvrage il livre quelques enseignements plus personnels qu'il tire du problème de la restauration du droit naturel qu'il a posé.
Il fait ainsi quelques remarques sur le droit naturel, parle de la notion de symétrie morale, explique comment ce principe pourrait s'appliquer à l'éradication de l'islamisme, montre comment se distinguer des progressistes et des conservateurs en se disant de droite, à défaut de pouvoir se dire jusnaturaliste (le terme exact mais totalement inconnu):
Je suis de droite non pas parce que je m'oppose à la gauche, mais parce que je défends le droit naturel contre ses ennemis.
Il termine par une conclusion où le mot de la fin est dit par le philosophe imaginé par Woody Allen dans son film Crimes et délits (1989):
Nous sommes la somme de nos choix.
Francis Richard
La Renaissance de l'Occident, Philippe Herlin, 164 pages, Bookelis