J'essaie d'écrire cette histoire depuis dix ans, non, depuis près de vingt ans. Cela ne débouche sur rien. Ma mémoire n'est plus ce qu'elle était. Je ne sais plus s'il s'agit de souvenirs ou d'imagination.
Joe Blahavic est pourtant écrivain, mais il n'arrive pas à raconter son histoire, celle du temps où son frère Branko et lui étaient ensemble, dans les années 1970, en Afrique du Sud.
À l'époque Joe admirait Mohamed Ali, qui n'était plus Cassius Clay depuis qu'il s'était converti à l'islam. Ce n'était pas le boxeur qui intéressait Joe, c'était le personnage hors normes.
Au cours des années 1970, Joe avait constitué des albums sur Ali avec des coupures de presse qu'ils y avaient collées. C'étaient les journalistes sportifs qui avaient développé sa passion.
Pour écrire ce livre, Joe fait donc appel à son frère Branko. Il compte sur lui pour l'aider à le rédiger parce qu'il a besoin de se souvenir des choses telles qu'elles se sont réellement passées.
Branko prend cela comme un devoir de famille et se met, difficilement, à la tâche, en essayant de s'inspirer des albums sur Ali et des brouillons griffonnés au crayon que Joe lui a laissés.
Le livre d'Ivan Vladislavic est un roman bivocal, qui donne la parole en alternance aux deux frères. Alors que Joe parle d'Ali et de ses facettes, Branko retrace le contexte de ses années-là.
L'époque est donc restituée par ce double éclairage. En tout cas, s'il est une chose que Branko a apprise de son frère Joe, c'est que penser à écrire, ce n'est pas la même chose que de s'y mettre.
Branko continuera cependant d'écrire sa partie, vaille que vaille, comme un cogneur qui n'est pas assez malin pour rester dans son coin quand il prend des coups et cherche à casser la distance.
Dans l'épilogue du livre Sting like a bee, que Jose Torres a consacré à l'histoire de Mohamed Ali, Budd Shulberg explique que les écrivains et les boxeurs ont des affinités particulières.
Peut-être que les affinités particulières que Joe, l'écrivain en devenir, avait pour Ali, le boxeur accompli, correspondent-elles au fond à cette remarque faite par Budd Schulberg et citée par Branko:
Au sommet de leur art, l'écriture et la boxe exigent la même concentration, l'autodiscipline et une aspiration supérieure.
Francis Richard
Distance, Ivan Vladislavic, 304 pages, Zoé (traduit de l'anglais par Georges Lory)