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25 janvier 2021 1 25 /01 /janvier /2021 18:15
Le hérisson et le renard, d'Isaiah Berlin

Parmi les fragments de l'oeuvre du poète Archiloque, on trouve le vers suivant: "Le renard sait beaucoup de choses, le hérisson n'en sait qu'une seule mais grande."

 

À partir de ce vers, Isaiah Berlin opère une dichotomie entre les hommes, dont il sait pertinemment que, si l'on insiste trop, elle devient artificielle, scolastique, et finalement absurde.

 

Mais, comme toute distinction, contenant un degré de vérité, c'est, pour le penseur d'origines lettonne et juive, le point de départ d'une recherche intéressante.

 

Les hérissons rapportent tout à une seule vision centrale, à un seul système plus ou moins exprimé et cohérent, grâce auquel ils comprennent, pensent et sentent.

 

Les renards poursuivent plusieurs fins, souvent sans aucun rapport entre elles, voire contradictoires, reliées (quand elles le sont) seulement de facto, par quelque motif psychologique ou physiologique, et non par un principe moral ou esthétique.

 

À des degrés variés, parmi les hérissons, Isaiah Berlin classe Dante, Platon, Lucrèce, Montaigne, Pascal, Hegel, Dostoïevski, Nietzsche et Proust; et, parmi les renards, Shakespeare, Hérodote, Aristote, Érasme, Molière, Goethe, Pouchkine, Balzac et Joyce.

 

 

TOLSTOÏ, HÉRISSON OU RENARD ?

 

L'objet de son essai, Le hérisson et le renard, est de déterminer si l'écrivain russe Léon Tolstoï appartient aux hérissons ou aux renards:

 

[Lorsque] nous nous demandons [...] s'il est un moniste ou un pluraliste, s'il a une vision unitaire ou multiple, s'il est d'une seule substance ou bien composé d'éléments hétérogènes, la réponse n'est ni claire ni immédiate.

 

Pour apporter une réponse à cette question, Isaiah Berlin s'intéresse à la philosophie de l'histoire de l'écrivain russe telle qu'elle apparaît notamment dans le monument littéraire qu'est Guerre et paix.

 

De cette philosophie de l'histoire, il ressort que, pour Tolstoï, la réalité est multiple - il en est un observateur éclairé et pénétrant - et qu'il ne croit pourtant personnellement qu'en un tout, vaste et unitaire.

 

Il sait bien que l'histoire n'est pas une science, mais il aimerait qu'elle le soit, ou plutôt il est convaincu qu'il existe des chaînes causales et que, si on les ressent, on les ignore et masque cette ignorance par des mots tels que pouvoir et accident.

 

Isaiah Berlin parle de conflit non résolu par Tolstoï entre sa propre expérience et ses croyances, si bien que, pour accepter de comprendre ce qui se passe, il est préférable de se fier aux croyances pleines de bon sens plutôt qu'aux pseudo-sciences, fondées sur des données complètement inadéquates.

 

Isaiah Berlin au terme de son essai en conclut que Tolstoï n'est pas un hérisson mais qu'ayant un désir ardent d'atteindre à une vision moniste de la vie, il n'en demeure pas moins un renard fermement résolu à tout voir avec les yeux d'un hérisson.

 

 

PORTRAIT D'ISAIAH BERLIN

 

Dans la préface de la présente édition1, Mario Vargas Llosa dresse un portrait tout en finesse d'Isaiah Berlin. Il souligne en particulier son fair play, qui consiste à transmettre sa pensée indirectement, à travers ce qu'ont pensé à un moment déterminé de leur vie certains hommes éminents d'époques, et de cultures différentes:

 

La discrétion et la modestie d'Isaiah Berlin sont, en réalité, une astuce de son talent.

 

Mais, c'est peut-être l'apport d'Isaiah Berlin en matière de liberté qui retiendra l'attention: il a contribué par deux concepts propres à éclaircir cette notion qu'il qualifie fort justement de protéique2: la liberté "positive" et la liberté "négative".

 

Le concept de liberté "négative", plus individuel que social est absolument moderne: On est plus libre dans la mesure où l'on trouve moins d'obstacles pour décider de sa vie comme bon vous chante.

 

Le concept de liberté "positive", plus social qu'individuel est ancien: il y a d'autant plus de liberté en termes sociaux que moins de différences se manifestent dans le corps social.

 

Ces deux concepts correspondent à deux attitudes profondément divergentes et inconciliables sur les fins de la vie humaine... N'est-il pas vain de chercher idéalement un compromis entre elles?

 

Francis Richard

 

1 - Ce texte fait partie d'un recueil d'essais L'Appel de la tribu, à paraître aux éditions Gallimard, où l'auteur rend hommage aux penseurs libéraux qui l'ont marqué parmi lesquels Raymond Aron et Jean-François Revel.

2 - Les traducteurs du texte écrit en espagnol, Albert Bensoussan et Daniel Lefort, ne voulaient-ils pas dire protéenne?

 

Le hérisson et le renard, Isaiah Berlin, 178 pages, Les Belles Lettres (traduit de l'anglais par Aline Berlin)

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  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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