Un journal est l'ultime refuge où règne une totale liberté. Entre chance et discipline, il arrive même que cette liberté soit si transparente et si légère qu'elle mène à des instants d'apesanteur, d'allégresse.
Casimir, 88 ans, écrit, le 1er janvier, au début de son journal, cette phrase proustienne: Longtemps je me suis levé de bonne heure pour m'en aller sur les sentiers qui longent la rive du lac. Il en aura 89, quelques mois plus tard, le 15 septembre.
Le titre, Casimir ou la vie derrière soi, fait penser à Romain Gary, qui, pour le diariste octogénaire, fait partie des plus grands, ceux qui ont su se forger un style pour porter l'originalité de leur pensée et une vision du monde insolite et innovante.
Pierre De Grandi prête sa plume à Casimir, qui confie à son journal qu'il se sent fatigué - il s'abandonne à sa fatigue - et qu'il n'est plus temps pour lui de réparer des ans l'irréparable outrage. Le corps a ses raisons à partir desquelles il faut s'en faire une.
Quand, comme pour Casimir, la fin se profile, se pose la question de l'après-la-mort. Le leitmotiv de son journal est éclairé par l'épigraphe freudienne placée en tête: Si vis vitam, para mortem, ce qui signifie littéralement: si tu veux la vie, prépare la mort.
Casimir n'est pas croyant, comme peuvent l'être un chrétien ou un athée, dont il moque crûment les certitudes. S'il devait croire à quelque chose, ce serait au Tout, à l'immanence plutôt qu'à la transcendance, donnant, somme toute, raison à Spinoza.
Aussi ne craint-il pas tant la mort que la dépendance - le mot et la chose l'obsèdent -, surtout qu'après des mois plusieurs épées de Damoclès le suivent désormais en permanence et qu'il sait pertinemment que [son] principal facteur de risque est [son] âge.
Il n'a pas envie de finir ses jours dans un établissement pour dépendants. Il a en effet une piètre opinion de ses semblables, à l'exception de ses quelques rares amis survivants, et n'a donc pas du tout l'intention de finir sa vie en leur funeste compagnie.
Fin octobre, il s'interroge: Si je pense si souvent à la fin de la vie, si je n'ai pas peur de la mort, serait-ce secrètement parce que je la souhaite? À la fin de l'année, d'autres signaux d'alarme s'étant allumés, il prend ses dispositions avant le Tout, ou Rien:
Quitte à mourir, j'aimerais que ce soit avec cette mince couche de conscience lorsque, au cours d'une sieste, je sommeille assez superficiellement pour savoir que je dors.
Francis Richard
Casimir ou la vie derrière soi, Pierre De Grandi, 324 pages, Slatkine
Livres précédents chez Plaisir de lire:
Le tour du quartier (2015)
Quand les mouettes ont pied (2017)