Le pouvoir n'a qu'une obsession: s'auto-entretenir. Que cet objectif passe par les libertés ou par la servitude, peu lui importe.
Cette thèse, qui ne remet pas en cause le rôle de l'État, est soutenue par Mathieu Slama dans ce livre, qui se veut Essai sur la société disciplinaire et dont la couverture, illustrée par un mouton, appuie le propos.
Depuis le 16 mars 2020, en France, une nouvelle étape a été franchie sur la route de la servitude. Seule une minorité en est convaincue. L'auteur en fait partie et craint qu'elle ne soit malheureusement irréversible.
LA SOCIÉTÉ D'OBÉISSANCE
L'état d'urgence sanitaire a permis de justifier la prise de mesures liberticides qui, selon l'auteur, ont mis à mal la démocratie et qui ont instauré un état d'exception, destiné à se prolonger à la faveur d'autres crises.
La Loi du virus, plus implacable en France que dans les autres démocraties représentatives, s'est imposée avec l'assentiment des institutions et de la population, et a transformé le régime, devenu ultra-présidentiel:
Une mesure aussi extrême que le confinement aurait dû, a minima, faire l'objet d'une opposition et d'une résistance dans l'opinion.
Dans nombre de pays, du moins au début, l'obéissance a été la même, hormis, par exemple, en Suisse, où une forte minorité a fini par voter contre l'état d'urgence indéfinie lors de la votation du 28 novembre 2021.
Non seulement la majorité de la population française s'est soumise à cette Loi, mais des citoyens-responsables se sont mus en citoyens-policiers faisant la chasse aux irresponsables qui osaient lui désobéir:
La France fut prise d'une fureur disciplinaire et répressive, comme si la crise sanitaire avait réveillé chez les Français une passion de l'enfermement en même temps qu'une haine profonde de la liberté.
Ce qui est grave, c'est que le pli ait été pris. Comme le disait Étienne de La Boétie, dans son fameux Discours de la servitude volontaire, que cite l'auteur: La première raison de la servitude volontaire, c'est l'habitude.
L'État a joué son rôle dans un pays majoritairement étatiste: Parce que nous avons considéré que l'État travaillait à notre bonheur et notre salut, nous avons accepté d'être enfermés, contrôlés, malmenés, discriminés.
Une fois la peur instillée par les images crues de la télé, soumis au regard de l'autre, il était difficile de désobéir: Comment résister quand la société entière nous intime l'ordre de nous comporter comme l'État l'ordonne?
Il ne fallait pas espérer de discordance de la part des politiques ou des intellectuels, de gauche comme de droite, qui se sont, pour nombre d'entre eux, montrés encore plus avides d'attenter aux libertés que le pouvoir.
LA FABRIQUE DE LA SERVITUDE
La tyrannie s'est imposée, d'abord, par le langage1.
En dehors du vocabulaire qui créait tout un imaginaire infantilisant, répressif et disciplinaire, et que tout le monde s'est mis à employer, l'auteur s'attarde sur trois mots qui ont joué un rôle structurant dans la crise dite sanitaire:
Résilience. Vulnérabilité. Responsabilité. Ces mots ont construit l'épidémie et la politique sanitaire. Ils ont été performatifs. Ils ont moralisé le débat public. Ils l'ont dépolitisé. Ils ont culpabilisé les citoyens.
Pour ce faire, il fallait manipuler la population, c'est-à-dire employer une méthode qui est le fruit des sciences comportementales et qui est utilisée dans certaines entreprises, le nudge management, pour stimuler les salariés:
Il s'agit, pour faire simple, de donner le sentiment aux salariés qu'ils agissent de manière souveraine, alors qu'en réalité leurs choix sont orientés par tel ou tel mécanisme de nudge.2
Puis la tyrannie s'est imposée par la loi mathématique du virus:
Quotidiennement, le gouvernement a exposé des courbes, des taux, des chiffres, des graphiques, des pourcentages pour ensuite les corréler à des solutions politiques.
Qu'est-ce que cela signifie?
Que la démocratie est activable ou désactivable au gré des fluctuations de l'épidémie, qu'elle peut être éteinte et rallumée en fonction de la météo sanitaire, que la démocratie, donc, devient démocratie sur commande.
Médecins et scientifiques des plateaux télé étaient dans leur immense majorité liberticides, enfermistes, et se sont montrés indifférents aux questions politiques et éthiques immenses en jeu dans la période de pandémie:
Notre obéissance n'a été possible que parce que l'autorité qui nous a asservis nous a paru indiscutable.
Avec le pass sanitaire, une nouvelle étape vers la servitude a été franchie: on est passé de la liberté inaliénable à la liberté accordée: La société disciplinaire fonctionne comme une immense machine à donner et retirer des droits.
C'est une société de contrôle: Le contrôle, c'est s'assurer de la discipline des individus et de leur soumission aux règles dictées par l'idéologie, sans qu'ils se rendent compte que cette discipline est réellement forcée.
Pour fabriquer cette servitude, il fallait des... fabricants. La France n'en manque pas. Ils se trouvent dans sa bureaucratie pléthorique dont la créativité incohérente aurait en d'autres temps fait le bonheur des humoristes.
D'OÙ VIENT NOTRE MAL
Les politiques disciplinaires et liberticides n'ont été menées par Emmanuel Macron que dans un seul but, assurer sa réélection.
Emmanuel Macron n'a ni principes ni convictions. Il dirige la France comme le ferait un manager d'entreprise, obsédé par l'acceptabilité plutôt que le débat, le pragmatisme plutôt que la conviction, l'utilité plutôt que les valeurs.
Pour obtenir l'approbation de la population, il ne débat pas, il se fait pédagogue. Il s'appuie sur des technocrates et des experts, sans souci des conséquences humaines, considérant que l'efficacité prime sur les principes:
Que reste-t-il de la liberté, cette idée assez peu rentable selon laquelle chaque homme doit décider souverainement, par lui-même, de ce qu'il croit bon pour lui et faire ses propres choix, même s'ils sont mauvais?
L'origine contemporaine de notre mal, Adieu la liberté? Ce serait:
- le tournant sécuritaire mondial après le 11 septembre 2001,
- les atteintes à la liberté d'expression telles la comparution en 2002 de Michel Houellebecq devant la justice pour avoir blasphémé l'islam.
À cela il faudrait ajouter:
- les attentats djihadistes, notamment celui contre Charlie Hebdo en 2015,
- les symptômes d'une société de répression et de délation que sont les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc,
- la grille de lecture du monde moralisatrice et intolérante du phénomène woke,
- la cancel culture, qui entend réduire au silence ceux qui pensent mal.
Si l'on remonte plus loin, ce serait:
- le puritanisme protestant, aujourd'hui concurrencé par le puritanisme islamiste,
- la notion chrétienne de responsabilité.
Il ne manquait plus que le capitalisme au tableau: Le monde entier s'est confiné parce que le monde entier est capitaliste...
Ce dernier point, particulièrement, montre malheureusement que l'auteur lui-même est aveuglé par sa religion anticapitaliste, qui lui fait tordre la réalité: il doit être de ceux qui condamnent l'arme plutôt que celui qui s'en sert...
Il tient des propos que ne renierait pas Karl Marx: L'homme est libre en tant que citoyen mais il est réduit à la servitude en tant que salarié... Aussi ne voit-il de salut que dans l'État, sauf qu'il est souvent lié à ses prédateurs:
Le management est devenu un instrument de contrôle social, prenant le relais de la religion, des traditions nationales et des vieilles idéologies politiques.
Ce qu'il décrit là, n'est-ce pas plutôt une des formes abusivement appelée capitalisme, alors qu'il s'agit d'entités de connivence avec l'État, qui, de plus en plus obèse et ayant de plus en plus de besoins, est, lui, le grand esclavagiste?
Comme par hasard, les pays, où le capitalisme prospère et où il n'obtient pas de privilèges de l'État, sont ceux où il y a le moins de chômeurs et où ce sont donc les salariés qui choisissent leurs employeurs et non pas l'inverse.
Il est vrai que la liberté peut faire peur à ceux qui se sont habitués à la sécurité, à une petite vie sans risques, médiocre, et où l'État est toujours providentiellement là pour les protéger. Mais elle est essentielle pour être un homme.
L'auteur a par conséquent raison de dire que l'origine du mal se trouve dans cette idée [réductrice] profondément contemporaine que la santé biologique est la condition de toutes les libertés et de tous les principes fondamentaux.
La santé ne se réduit pas à la biologie. La psychologie, les rapports avec les autres, la spiritualité, qui est recherche de la vérité, sont autant de ses composantes, sans lesquelles un homme ne peut pleinement vivre et mourir.
ÉPILOGUE
Aussi, quand à la fin de son livre, il propose de revenir à la République que nous chérissions tant et que nous regardons chaque jour s'éloigner un peu plus, ce n'est pas cette perspective étriquée qui me parle, mais cette petite phrase:
La vie biologique sans la liberté ne vaut rien.
Francis Richard
1 - Voir aussi mon article du 4 septembre 2021 sur LTI, la langue du IIIe Reich de Victor Klemperer...
2- Littéralement coup de coude, terme utilisé en marketing et traduit plus volontiers par coup de pouce, pour guider le choix vers une direction souhaitée grâce à une petite intervention.
NB
L' Institut Libéral reçoit Mathieu Slama pour une conférence en ligne, le mardi 15 février 2022 à 20 heures, avec pour thème: L'impact de la crise sur la liberté.
Adieu la liberté, Mathieu Slama, 270 pages, La Cité
Publication commune avec lesobservateurs.ch