Icarius Montefumato. C'est mon nom. Le vrai. L'officiel. Sans déguisement de pseudonyme. C'est celui qui est inscrit sur mon passeport, mon permis de conduire, ma carte de presse.
Icare a connu son heure de gloire. Il a commis plusieurs livres. Il a même reçu le prix Goncourt en son temps. Aussi connaît-il bien ce qu'écrivain veut dire et les rites qui vont avec.
Aujourd'hui sa quête est de faire main basse sur tout ce qu'il a écrit et qui n'a pas été acheté ni lu et de les rassembler chez lui. Dans quel dessein? C'est justement tout le propos du roman.
En tout cas ce qui est sûr, c'est qu'Icare est désabusé sur le livre en général et pas seulement au sujet des siens. C'est ainsi que, pour lui, le livre n'est pas libre et qu'il ne l'est même jamais:
Le jour de son achat, le livre tombe de l'asservissement du négoce dans celui d'un avenir de table de nuit, d'oreiller défraîchi, de bibliothèque de salon, d'étagère de lieux d'aisance, etc.
Le livre ne rend libre non plus ni l'écriveur ni le liseur. Aujourd'hui il sait que c'était une erreur de faire entrer un monde qui ne tourne pas rond dans le moule rectangulaire d'un livre.
Pourtant écrire lui est consubstantiel, comme c'est le cas pour ses semblables. La question n'est donc pas d'écrire ou de ne plus écrire, mais d'écrire ou mourir. C'est aussi simple que ça.
Que lui est-il arrivé? En italiques, on apprend peu à peu le traumatisme subi après la chute de l'Al Bekaba, où lui et d'autres ont été soumis à la question pour blasphème de la libre pensée.
L'Al Bekaba? La plus ancienne, la plus vaste, la plus essentielle bibliothèque du monde. La première. La seule. Où Icare avait été admis dans un contingent étranger pour un séjour d'études.
Il ne se doutait pas qu'un Ordre Nouveau serait instauré et que seraient mis au pilori tous les ouvrages des participants et la disparition concomitante du quota féminin de son contingent.
Icare en a réchappé, ce qui ne fut pas le cas de tous ses confrères. Son cerveau a en quelque sorte été lavé et, après qu'il est sorti de l'hôpital, il a commencé sa quête de ses propres livres.
Cette quête le mène dans toutes sortes de librairies et de bibliothèques, jusqu'à des boîtes à livres même. Et il ne se contente plus dès lors de les acheter, au besoin il subtilise, ni vu, ni connu.
Quel sort réserve-t-il à ses livres oubliables, pour l'écriture desquels, après tout, il n'a souffert que de chercher le mot juste pour exprimer justement l'idée juste [qu'il] voulait transcrire?
Il sait maintenant que la dépouille des livres est condamnée à ne jamais connaître la paix des morts autrement que par le pilon ou le bûcher. Encore faut-il être capable de passer à l'acte...
Francis Richard
Le chagrin d'Icare, Marie-Claire Dewarrat, 192 pages, Éditions de l'Aire
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