Deux passions, paru en 1979 en Suisse chez Bertil Galland et en France chez Gallimard, comprend deux parties: Emerentia 1713 et Virginia 1891.
Ces deux histoires distinctes sont inspirées par les vraies vies d'une petite fille et d'une adolescente et se passent toutes les deux en Valais catholique.
Emerentia signifie méritante, Virginia, Vierge noire. Il faut entendre passion dans le sens de souffrance dans le premier cas, d'amour dans le second.
EMERENTIA 1713
Emerentia est le fruit d'une mésalliance. Son père, veuf, a alors pris une personne de haute naissance, sa belle-mère, qui, très vite, se débarrasse d'elle:
Elle aurait voulu autrefois devenir carmélite; mais, forcée d'obéir à sa famille, elle avait épousé le seigneur de M., veuf inconsolé. Elle ne le lui pardonnait pas. Pas plus qu'elle ne pardonnait pas à la petite fille de sa première femme d'être si belle et si vivante.
Emerentia est en effet confiée au doyen de la paroisse, un violent, qui, au lieu de prêcher d'exemple, veut la ramener de force dans le giron de l'Église.
Il ne comprend pas qu'il a affaire à une enfant malheureuse d'avoir perdu sa mère, mais qui a une grâce et un savoir surprenant des êtres et des choses.
L'endurcissement et l'isolement qu'il lui fait subir sont de la maltraitance, à laquelle conduit la pratique d'une religion selon la lettre et non selon l'esprit:
On lui a enlevé ce qui lui convenait le mieux et qui était elle-même: la bonté, la douceur des êtres frustres et des bêtes, la grâce des végétaux, la mère forêt.
Cette histoire qui est aussi satire de la condition féminine au XVIIIe siècle ne pouvait que mal finir non sans que le destin ne joue une de ses facéties.
VIRGINIA 1891
Virginia a quinze ans. Quelques années plus tôt elle a parcouru un livre dans lequel les histoires d'enfer et de péchés lui ont fait plus de mal que de bien:
Beaucoup de choses me troublaient, et les commandements de Dieu et de l'Église n'étaient pas là pour simplifier la vie, au contraire!
Une fois l'école terminée, c'est son tour d'aller en place, chez un monsieur riche de Sierre, dont la dame est belle tellement, pour s'occuper de leur enfant.
Bien qu'elle ne sache rien faire, elle s'en tire très bien et Monsieur, trente ans, peintre, veut faire son portrait, peu à peu tombe amoureux de cette paysanne:
Lui paraissait toujours joyeux en ma compagnie et j'en étais contente. Il m'appelait la petite.
Monsieur prend l'habitude de lui écrire des billets où il lui dit l'adorer en inventant des phrases tellement jolies, auxquels elle répond qu'elle l'aime aussi...
Cette cour va durer des semaines, des mois, des années. Plus elle voit qu'elle lui plaît, moins cela lui déplaît. Mais, c'est Monsieur, un homme marié:
J'aimais Monsieur et j'étais aimée de lui. Mais pas comme je l'aurais voulu. Le mariage c'est sacré.
Cet amour impossible pour un homme marié devenu sa raison de vivre, son paradis, sa perdition, la rend mélancolique. Anémiée, elle retourne à son village.
Sur ce, Madame meurt. Monsieur, désespéré, part faire un long voyage. Virginia demande pardon à Dieu de tant aimer Monsieur: elle est à lui pour l'éternité.
Elle reçoit un mot de Monsieur le lendemain de cette prière, lui demandant de lui revenir. C'est un ultime appel au secours auquel elle ne peut que répondre oui:
En quittant mon village, j'eus l'illumination de mon destin: plus jamais je n'y reviendrais.
Francis Richard
Deux passions, S. Corinna Bille, 288 pages, Zoé (2022)
Livre de l'auteure précédemment chroniqué:
Théoda (31.05.2023)
Publication commune avec LesObservateurs.ch.