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6 novembre 2023 1 06 /11 /novembre /2023 21:30
Prends garde à la douceur, de Jean-Louis Kuffer

Prends garde à la douceur est un recueil de pensées de Jean-Louis Kuffer. Elles sont ordonnées comme la vie, ce sont des pensées de l'aube, en chemin, du soir.

 

Il n'est pas surprenant que quelques thèmes soient récurrents. Cela ne veut dire pas dire qu'ils soient approfondis, ils sont plutôt vus sous un autre angle, l'âge aidant.

 

Citer quelques pensées, choisies non pas au hasard mais par dilection, est en l'occurrence le meilleur moyen de ne pas les trahir, de révéler l'auteur et celui qui en est l'électeur...

 

L'auteur conclut la quasi totalité de ses pensées par trois petits points qui ne sont pas hésitation célinienne mais invitation au lecteur de les faire siennes et de les compléter...

 

Ces pensées sont tantôt personnelles tantôt générales, mais elles sont toutes d'une portée qui dépasse leur énoncé. En tout cas elles donnent matière à réflexion. Tant mieux.

 

PENSÉES DE L'AUBE

 

Les pensées qui suivent sont celles d'un humaniste et ne peuvent qu'entrer en correspondances avec celles de tous ceux pour qui, décidément, rien d'humain n'est étranger.

 

De la bienveillance.- À ces petits crevés des fonds de classes mieux vaut ne pas montrer qu'on les aime plus que les futurs gagnants bien peignés du premier rang, mais c'est à eux qu'on réservera le plus de soi s'ils le demandent, ces chiens pelés qui n'ont reçu que des coups ou même pas ça: qui n'ont même pas qui que ce soit pour les empêcher de se déprécier.

 

Du ressentiment.- C'est de cela seul que je voudrais que tu me débarrasses, méchant moi, c'est de ce relent récurrent qui me taraude dans le bruit des bruyants malcontents, c'est de ce froid et de ce poids, gentil moi, que je te prie de me délivrer...

 

De la folie ordinaire.- Ils te disent qu'ils n'ont pas le temps, et toi tu te dis que c'est cela la barbarie, ou bien ils te disent qu'il faut bien tuer le temps, et tu te dis que c'est aussi cela la barbarie, et quand tu leur demandes quel sens à tout ça pour eux, ils te répondent qu'ils n'ont pas que ça à faire, se poser des questions, et si tu leur dis de prendre leur temps alors là c'est colère, ça les rend fous, ou plutôt c'est toi qu'ils regardent comme un fou - s'ils pouvaient te faire enfermer, oui ça aussi c'est le début de la barbarie...

 

Pour Platon, ce sont le vrai, le bien et le beau auxquels il convient de convertir son âme. L'auteur, lui, dit que la place de la vérité, la bonté, la beauté, est d'occuper toute la place...

 

PENSÉES EN CHEMIN

 

Avec cette pensée, l'auteur montre le chemin qu'il a emprunté, emprunte, empruntera, de l'aube à la nuit, et qui ne peut se concevoir autrement que difficile, comme l'existence:

 

De la difficulté.- Ce n'est pas le chemin qui est difficile, disait Simone Weil, mais le difficile qui est le chemin. Cela seul me pousse à écrire et tout le temps: le difficile. Difficile est le dessin de la pierre et de la courbe du chemin, mais il faut le vivre comme on respire. Et c'est cela même écrire pour moi: c'est respirer de l'aube à la nuit [....]...

 

Avec cette autre pensée, l'auteur rappelle qu'il est aussi lecteur. La répétition de ses lectures fait évidemment penser aux moines qui psalmodient les mêmes textes, indéfiniment:

 

De la répétition féconde.- Lire et relire relèvera toujours au cours de nos pérégrinations de lieux en lieux et par les allées et venues des années, non un ressassement borgne ou borné mais d'une reprise à grande eau de récurage de printemps, quand s'ouvrent de nouvelles fenêtres au fil des pages et des paragraphes - tel étant le Phénix fameux...

 

L'auteur explique dans la pensée suivante qu'à l'aube, ils ont fait comme tout le monde, ils ont imité, puis, ayant appris, sont devenus indépendants et ont cessé d'être complaisants:

 

De la conformité.- Vous avez répété quelque temps les numéros qu'ils vous ont appris, vous avez d'abord trébuché et cela les a fait sourire et même rire au point de vous en redemander, vous avez gagné en habileté jusqu'à les faire applaudir et c'est alors qu'au lieu de vous congratuler vous-même et de plastronner à l'avenant vous avez commencé de vous retirer de ce jeu de complaire et de se plier supposé vous caser bientôt au juste guichet...

 

Au contraire de Lamartine, pour qui un seul être manquait et tout était dépeuplé, l'auteur a trouvé en quelque sorte la parade au manque de l'absente en la retrouvant en lui-même:

 

De ton absence.- Hier encore tu étais là, tu étais proche, tu m'étais plus présente que je ne me l'étais si souvent à moi-même, et voici que ton absence m'augmente de son manque, sachant que tu es entrée en moi et que je te retrouve désormais partout...

 

PENSÉES DU SOIR

 

Aux optimistes et aux pessimistes invétérés, l'auteur oppose la raison des coeurs musiciens qui s'accordent et dispensent une juste et sereine mesure au sujet des êtres et des choses:

 

Du refus d'obtempérer.- À ceux-là qui positivent à mort, comme aux lugubres qui ne voient partout que ruines vous avez opposé vos quatre-mains de pianistes amateurs hors d'âge, sans autre métronome que le double battement de vos coeurs et sans autre souci que celui de la mélodie dont les enfants se souviendraient...

 

Les dernières pensées choisies ne nécessitent aucun commentaire et se suffisent à elles-mêmes. Ce sont des pensées roboratives qui incitent à surmonter les avanies de l'existence:

 

De la compensation.- Le malheur est un mal, mais la douleur peut être un bien, comme le rappelle parfois l'oeuvre d'art ou la poésie qui nous ouvre un nouveau temps et de plus larges espaces, la statue dans un nouveau ciel et le poème dans un autre silence, le fini par-delà l'indéfini...

 

De ce qui reste vrai.- Je ne voulais rien dire d'autre aux enfants que ce je dis des enfants qui nous augmentent, et je le sais depuis mon enfance: que je n'aurai que ça à dire de vrai et que les enfants en auront été la preuve...

 

Du plus tendre aveu.- Tu m'as manqué dès que j'ai su que je m'en irais, lui dit-elle...

 

Francis Richard

 

Prends garde à la douceur, Jean-Louis Kuffer, 272 pages, Éditions de l'Aire

 

Livres précédents:

 

Riches heures Poche suisse (2009)

Personne déplacée Poche suisse (2010)

L'enfant prodigue Éditions d'Autre Part (2011)

Chemins de traverse Olivier Morattel Éditeur (2012)

L'échappée libre  L'Âge d'Homme (2014)

La fée valse Éditions de l'Aire (2017)

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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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