Les glaneuses semblent à leur place, perdues dans ce rêve lumineux, immobilisées dans ce geste, pourtant nécessaire à leur survie.
Les Glaneuses est un tableau d'Eugène Burnand. Il a été prêté par le Musée Naturaliste de Moudon1 au Musée Convert-Maillard 2 de Vevey pour une exposition temporaire qui aura duré six mois.
Une fois l'exposition terminée, ce tableau est reparti dans une fourgonnette de Vigilas conduite par Isaure Lajulienne, accompagnée d'un passager, un taiseux, de prime abord muet, ou bien aphone.
Alors que la fourgonnette se trouve à proximité de son point de départ, elle est braquée par trois individus dans le tunnel sous gare de Vevey, lesquels individus occupent une ambulance qui a pilé devant.
Le vol est le repère temporel de cette histoire. Il y a des avants et des après. Le lecteur doit lire attentivement le livre pour avoir présent à l'esprit tous les méandres dans lesquels l'entraîne son facétieux auteur
L'avant, c'est le récit des préparatifs de cette opération menée par un géant dénommé Borgeaud qui a recruté deux amateurs, Valotton et Tinguely, un connaisseur d'art et un pilote de voitures rapides.
L'avant, c'est aussi le récit d'un dossier établi par un aspirant journaliste sur le crime, commis en 1949, sur deux jeunes filles, crime qui n'a jamais été élucidé, tandis que c'était possible en approfondissant.
L'après, c'est le récit du sort du tableau et de l'identité des braqueurs qui portent, on l'a vu, un pseudo d'artiste: Borgeaud, Valotton, Tinguely. Seul, par précaution, leur chef connaît les véritables noms.
L'après, c'est l'enquête policière menée à fond par l'inspectrice principale, Maude Colomb, une dure à cuire, et son équipe: Midipeux, Tricher, Lumji, Motter et Lepex qui ont du caractère et en veulent.
Le lecteur se doute qu'il y a un rapport entre les avants et les après parallèles, mais il devra attendre la fin pour connaître tous les tenants et aboutissants, des violences ne lui étant pas épargnées au passage.
Dans la géométrie euclidienne deux droites parallèles ne se rencontrent jamais. Ce roman ne doit décidément pas être euclidien, parce que récits et personnages sont courbes et finissent par se rejoindre.
Chacune des cinq parties du roman est précédée d'une épigraphe composée de huit vers, dont le dernier apparaît comme un refrain: Chaque épi donne un peu de pain. Chaque partie donne un peu de clarté3...
Car c'est une sombre affaire que Le Vol des Glaneuses. Habilement, avec ses avants et ses après, Matteo Salvadore éclaire la lanterne du lecteur, qu'il manipule, comme sont manipulés ses protagonistes.
Francis Richard
1 - Dans la vraie vie le Musée Eugène Burnand de Moudon.
2 - Dans la vraie vie le Musée Jenisch de Vevey.
3 - Le nom du poète, célèbre, n'est révélé qu'à la fin.
Le Vol des Glaneuses, Matteo Salvadore, 390 pages, Plaisir de Lire