Le 4 février 1984, deux êtres qui m'étaient chers ont disparu: mon grand-père maternel et Pierre Dudan, l'un à Uccle (près de Bruxelles), où je suis né, l'autre à Épalinges (près de Lausanne, où je réside).
Le livre de Jean Pierre Pastori a donc remué des souvenirs que j'avais enfouis et m'a beaucoup appris sur celui que l'auteur surnomme Le vagabond de la chanson. Merci à lui et aux éditions Favre.
Je savais que Pierre Dudan n'était pas seulement musicien et chanteur1, qu'il avait joué dans des films (et au théâtre), mais je ne m'attendais pas à une telle filmographie, pendant plus de deux décennies.
Je ne l'ai pas connu quand il l'était et qu'il réussissait dans la chanson, encore qu'il ait reçu, pour Ballades de tous les temps 2, en 1977, le Grand prix d'honneur "in honorem" de l'Académie Charles Cros.
En fait, je ne l'ai connu que pendant une courte période, durant les années 1970. Mes lecteurs ne s'en étonneront pas, ce sont surtout des livres de lui qui me l'ont fait connaître en dehors de nos rencontres.
Il y a eu d'abord Autodévermination, dont Pastori se demande s'il était bien nécessaire qu'il le publie en 1973, juste avant sa rentrée parisienne, où il ne cache pas ses idées de droite dans un milieu de gauche 3.
Puis Trous de mémoire, en 1978, qu'il me dédicace de coeur franc, une autobiographie dont s'est largement inspiré Pastori, et où j'apprends toute l'étendue de ses vagabondages artistiques et amoureux.
Enfin Antoine et Robert, qu'il me dédicace le 4.4.81, à l'ami retrouvé, de grand coeur! Pastori le résume bien en le disant dialogue apocryphe [...] nourri de citations originales de Saint-Exupéry et Brasillach.
Dudan n'est pas antisémite, c'est à Brasillach, le poète, que va sa ferveur 4 : il le compare à deux poètes, André Chénier, guillotiné sous la Terreur, Federico Garcia Lorca, fusillé par des rebelles franquistes.
Parmi la foule qui se presse, en 1977, à Paris pour l'applaudir au Lucernaire, je me trouve avec celle que j'épouserai. Il écrira ironiquement à ce sujet dans une lettre adressée à Philippe Grumbach le 31.12:
La semaine dernière, neuf personnes en six soirs. Ce pourrait être pire: six personnes en neuf soirs... Mais je ne perds pas l'espoir de battre mon propre record: zéro. Il faut garder foi en l'adversité.
Pierre Dudan repose au Cimetière du Bois-de-Vaux, à Lausanne. J'irai me recueillir sur sa tombe, regrettant que la Municipalité ait refusé, dans une lettre du 8.12.98 à Pierre Jobin, qu'une rue porte son nom.
Francis Richard
1 - Il est l'auteur de quelque 1700 chansons...
2 - Le seul 30cm de lui que je possède, et qui comporte une dédicace de Georges Brassens.
3 - Nos deux signatures voisinent alors dans l'éphémère hebdomadaire Sept jours en bref, où je tiens la chronique des livres et où il publie deux billets, et qui est dirigé par Jean-Marie Reber, le futur Chancelier de l'État de Neuchâtel, de 1981 à 2009.
4 - C'est aussi le poète qui m'enchante: mon père, qui comme lui se prénommait Robert et était son contemporain, un soir, alors que j'avais douze ans, nous avait fait écouter les Poèmes de Fresnes dits par Pierre Fresnay...
Pierre Dudan - Le vagabond de la chanson, Jean Pierre Pastori, 176 pages, Favre