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24 mai 2025 6 24 /05 /mai /2025 19:00
Pourquoi les intellectuels se trompent, de Samuel Fitoussi

Et si la culture, l'intelligence et l'éducation n'étaient pas gages de sagesse, mais prédisposaient à l'erreur?

 

Dans son introduction, Samuel Fitoussi donne les exemples de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Bertolt Brecht, Bernard Shaw, Louis Althusser, Louis Aragon, André Glucksmann, Edgar Morin, Noam Chomski, Martin Heidegger ou Carl Schmitt...

 

LES DEUX RATIONALITÉS

 

Selon l'auteur, l'évolution a doté l'être humain de deux rationalités:

  • La rationalité épistémique: une capacité à adopter des croyances valides.
  • La rationalité sociale: une capacité à avoir une bonne image auprès du groupe auquel il appartient.

 

Or ces deux rationalités ne se recouvrent pas: la vérité objective ne coïncide pas toujours avec la vérité socialement définie.

 

Se tromper:

  • peut être lourd de conséquences dans la sphère économique privée.
  • n'est de loin pas toujours pénalisant chez les intellectuels: persister dans l'erreur peut même s'avérer moins coûteux individuellement que de faire demi-tour, peu importe si cela débouche sur des désastres collectifs...

 

Si la rationalité épistémique est déterminante chez les entrepreneurs, la rationalité sociale est plus importante chez les intellectuels:

 

Les esprits les plus brillants sont ceux qui parviennent à justifier la plus grande gamme de comportements.

 

L'AVEUGLEMENT DE L'INTELLIGENTSIA

 

Au XXe siècle, l'intelligentsia occidentale est longtemps restée aveugle au bilan humanitaire des régimes communistes, malgré l'accumulation d'éléments qui auraient dû la conduire à réviser son jugement.

 

Ils partaient de la certitude, biais de partialité, que le communisme fonctionne et permet l'épanouissement du genre humain. Il était donc impossible que les informations contraires soient exactes. Leurs a priori idéologiques les empêchaient de voir ce qu'ils voyaient:

 

Il est difficile de juger un syllogisme lorsque nous sommes d'accord avec sa conclusion.

 

Le déni, biais de confirmation, permet de rester heureux en évitant les informations qui réfuteraient les idées que nous nous faisons sur le monde.

 

LES DIPLÔMÉS1

 

Il existe [...] des raisons de croire que le monde académique - les sciences sociales en particulier - sont parmi les plus poreux à l'irrationalité:

 

  • Les universitaires sont les plus à même de rationaliser des idées fausses.
  • Les thèmes des sciences sociales favorisent l'irrationalité.
  • Le manque de pluralisme est indéniable au sein des universités occidentales.
  • Il est préférable de rationaliser les erreurs consensuelles que de poursuivre la vérité.

 

Résultats: 

  • Le remplacement de traditions éprouvées, qui n'ont rien d'arbitraire, par des constructions sociales.
  • En raison du nombre de diplômés de l'enseignement supérieur, nombre d'entre eux vivent sans côtoyer des non-diplômés.
  • Les diplômés surnuméraires en sciences sociales sont formés avant tout aux idées et se radicalisent quand ils ne trouvent pas de postes pour les mettre en application.

 

L'IDÉOLOGIE DE L'INTELLIGENTSIA

 

L'intelligentsia occidentale croit que:

  • Les changements positifs de la société doivent être impulsés par le haut, ce qui leur permet de jouer un rôle: l'orienter vers un avenir meilleur.
  • La réalité est modifiable à souhait si elle est le fruit d'une construction verticale.

(La société capitaliste a été imposée de la sorte.)

  • La société dans laquelle ils habitent est mauvaise et ils sont les seuls compétents pour la changer.
  • Le mal n'est pas dans la nature humaine mais dans une institution, une classe sociale ou un groupe humain: la responsabilité n'est jamais individuelle, mais collective.
  • L'homme ordinaire doit être rééduqué, apprendre à être heureux, à faire bon usage de sa liberté, à échapper aux forces qui le conditionnent...

 

Bref l'intelligentsia occidentale croit détenir le monopole de la connaissance et du bien pour les autres... et ne veut pas voir que les connaissances sont dispersées.

 

De même s'illusionne-t-elle sur le contrôle qu'elle pourrait exercer, puisque, selon elle, les non-occidentaux ne feraient que réagir aux actions de l'Occident...

 

Dans cet esprit, elle a tendance à penser que l'Occident est toujours coupable et ne peut être victime: c'est l'inversion accusatoire permanente.

 

Que les idées de l'intelligentsia soient absurdes n'est pas rédhibitoire. Au contraire, elles permettent de distinguer ceux qui sont loyaux. Le signal envoyé est le suivant:

 

Je suis plus fidèle au groupe qu'à la réalité.

 

L'intelligentsia a enfin des croyances de luxe, celles que seule l'élite peut se permettre d'adopter:

 

Certaines politiques publiques, par exemple, imposent des coûts qui pèsent davantage sur les classes populaires.

 

L'INFLUENCE DE L'INTELLIGENTSIA SUR L'OPINION

 

Cette influence est grave:

  • parce qu'elle est disproportionnée,
  • parce que, quand elle diffuse une idée fausse, elle n'est pas considérée comme fausse,
  • parce qu'elle contrôle l'information,
  • parce qu'elle est répétitive,
  • parce qu'elle émane de l'arbitre des élégances,
  • parce qu'elle émane de l'élite, donc de ceux qui ont le statut social le plus élevé.

 

Cette influence est d'autant plus grave que l'opinion est malléable:

 

Les idées de certains intellectuels deviennent [...] de plus en plus populaires à mesure qu'elles sont appliquées...

[...]

Nous nous rangeons aux évolutions qui nous sont imposées.

 

CONCLUSION

 

L'idée selon laquelle les élites intellectuelles pourraient rendre service à la société en imposant à l'ensemble de la population leurs critères de vérité - mais, cette fois-ci, les bons critères - est une idée qui postule à tort la supériorité des intellectuels du présent sur ceux du passé, fait fi de la nature humaine, et oublie que ni l'intelligence, ni l'appartenance à l'élite, ni la volonté de combattre l'erreur ne protègent de l'erreur.

 

Francis Richard

 

1 - Ce n'est pas parce que l'on a fait les meilleures études que l'on est le plus intelligent et le plus à même de prendre des décisionsCharles Gave

 

Pourquoi les intellectuels se trompent, Samuel Fitoussi, 272 pages, Éditions de l'Observatoire

 

Livre précédent:

 

Woke fiction, 384 pages, Le Cherche Midi (2023)

 

Publication commune avec LesObservateurs.ch.

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commentaires

R
Encore une magnifique recommandation de lecture ! Il est consternant de voir combien un grand nombre des intellectuels que nous admirions au temps de nos études et par la suite se sont révélés de véritables faussaires de la pensée. Et, hélas, il n'est pas exclu que ce soit encore le cas de bon nombre d'entre eux aujourd'hui.
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  • : Le blog de Francis Richard
  • : Ce blog se veut catholique, national et libéral. Catholique, il ne s'attaque pas aux autres religions, mais défend la mienne. National, il défend les singularités bienfaisantes de mon pays d'origine, la France, et celles de mon pays d'adoption, la Suisse, et celles des autres pays. Libéral, il souligne qu'il n'est pas possible d'être un homme (ou une femme) digne de ce nom en dehors de l'exercice de libertés.
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  • Francis Richard
  • De formation scientifique (EPFL), économique et financière (Paris IX Dauphine), j'ai travaillé dans l'industrie, le conseil aux entreprises et les ressources humaines, et m'intéresse aux arts et lettres.
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