Je suis écrivain: c'est dire que la parole n'est pas mon fort.
Baltasar dos Santos a accepté le Prix Nobel de littérature qui lui a été décerné. Il s'apprête à prononcer son discours de douze pages.
Il n'en mène pas large parce qu'il va profaner l'idole qu'il a adorée pendant des décennies, blasphémer le saint nom de la littérature.
Il retrace d'abord sa vie d'écrivain débutant, comme l'ont fait des prédécesseurs, en parlant de lui-même à la troisième personne.
Après s'être adressé un temps à une élite, dans un second, il avait choisi de se faire remarquer, c'est-à-dire d'écrire des bêtes-sellers.
Ses romans conforteraient les préjugés de ses lecteurs, flatteraient leur bonne conscience, correspondraient à leur vision du monde:
La littérature avait été pour lui une vocation, elle serait désormais un métier.
Il fait tout ce développement pour arriver à la péroraison que l'Académie suédoise a consacré en sa personne un imposteur:
Il a trahi sa vocation, prostitué ses dons, dilapidé son talent, renié l'idéal de vérité et de probité que tout écrivain devrait servir.
Après cette confession, devant la mine médusée des jurés, il critique leurs choix précédents et cite les grands écrivains rejetés par eux.
Il achève en priant les saints tutélaires de la littérature de lui pardonner d'avoir déserté leurs autels et renié leurs commandements...
Le scandale de ce discours se répand comme un tsunami, suscite colère, incompréhension, de la part de ses éditeurs et de ses proches.
Dès lors, les journalistes ne le laisseront pas tranquille et il se rend d'abord à l'ermitage que ses parents lui ont légué dans la Nièvre.
Puis il rend visite à New York à Andrew, son agent américain, qui l'a connu à ses débuts et en qui il sait pouvoir avoir pleine confiance.
Andy lui conseille de disparaître, comme le fit J.D. Salinger. C'est ainsi que Baltasar se retrouve au Portugal, le pays de ses origines.
À Lisbonne commence pour lui une nouvelle vie. Il renonce à écrire, suit les traces de Fernando Pessoa et de ses hétéronymes:
Pessoa, c'est à la fois Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Àlvaro de Campos, Bernard Soares et Pessoa lui-même, sans compter d'autres auteurs de moindre envergure.
Deux révélations vont le sortir de son confort, dans cette ville où, retraité depuis deux ans, il a fait deux belles rencontres féminines:
Étranger de passage, je ne l'étais plus, mais bien lisboète de coeur et même de moeurs.
L'une de ces révélations le touchera en tant qu'écrivain, l'autre en tant qu'homme: celle-ci fera dire à l'auteur, qui aura pris la relève:
Et tu diras merci à la vie en songeant que tout est bien puisque tout finit.
Francis Richard
Tout est bien puisque tout finit, Bruno de Cessole, 352 pages, Le Cherche Midi