La vieille dame perd des tuiles comme on perd nos cheveux. On ne compte plus ses rides, sa peau fripée trahit son âge - l'année de sa naissance est inscrite au-dessus de la porte à deux battants de la grange, sur le linteau voûté: 1909. Quatre chiffres qui portent en eux plus d'un siècle d'histoire, qui posent une marque dans notre existence, comme un lien invisible, presque magique.

La vieille dame est en effet une maison. Elle se trouve à la Gîte, un hameau, loin de tout mais à cinq minutes de la ville, une petite ville jurassienne à l'esprit de village. Cette vieille dame se nomme Bel Horizon, nom inscrit en toutes lettres sur la façade est.

Bel Horizon est la maison d'alpage à laquelle la femme du narrateur se rendait pour passer les vacances d'été auprès de ses grands-parents, Grand-Ma et Grand-Pa, et de Gio, le commis portugais, avec lesquels, se souvient-elle elle s'amusait, énormément.

Au début du récit, le narrateur et sa femme pénètrent dans la maison inhabitée depuis un moment et qui se trouve face aux Aiguilles-de-Baulmes. C'est une immense brocante, dans laquelle il leur faut faire un tri. De quoi, pour elle, être toute rebouillée.

Bel Horizon a une histoire. Elle appartenait à Monsieur Émile qui l'avait fait bâtir et qui l'avait léguée à Mademoiselle Lili et son frère. Elle avait fait office de douane et sa grange avait abrité une école d'escalade, avant que Grand-Pa ne la rachète.

La vieille dame est une taiseuse, mais il y a le petit carnet aux bordures dorées de Mademoiselle Lili. Aussi le narrateur a-t-il pénétré par cette porte ouverte pour entrer dans la maison, s'y installer - et poursuivre l'écriture, compléter cette souvenance.

Et puis il a fait appel aux souvenirs, bien qu'il sache que la mémoire s'apparente à la neige, que les souvenirs pleuvent comme des flocons, qu'ils tombent chemin faisant et finissent immanquablement par fondre, se confondre avec la terre, avec l'humus.

Après que Grand-Pa l'a rachetée, il s'aide de documents et du courrier, trouvés en faisant du tri, pour reconstituer le passé de la vieille dame. Il avait lancé l'idée d'un roman après sa première venue et après avoir fait la connaissance de son beau-père:

Ce récit s'apparente à une constellation de petits cailloux lâchés en chemin.

La vieille dame sera sauvée. Mais l'identité du hameau sera menacée, le vieux monde condamné par des ravages de la modernité: tout changement n'est pas un progrès, une amélioration, et d'immenses fleurs, image euphémique, souilleront ce paradis... 

Francis Richard

Bel Horizon, Florian Sägesser, 150 pages, BSN Press

Livres précédemment chroniqués:

Point de suture, Olivier Morattel (2016)

Les trois singes, L'Âge d'Homme (2018)