Quand je lis les déclarations des uns et des autres sur l’initiative de l’UDC ayant pour objet les naturalisations, je me demande si ces uns et ces autres ont seulement lu la modification de la Constitution qui résulterait de l’adoption de cette initiative.
L’alinéa 4 de l’article 38 de la Constitution fédérale est rédigé ainsi dans ladite initiative : « Le corps électoral de chaque commune arrête dans le règlement communal l’organe qui accorde le droit de cité communal. Les décisions de cet organe sur l’octroi du droit de cité communal sont définitives ».
Le texte n’est-il pas clair ? Il faut croire que non.
Isabelle Moret, conseillère nationale radicale vaudoise, écrit dans « 24 Heures » du 24 mai 2008 : « La naturalisation par les urnes est une procédure totalement à l’aveugle : comment le citoyen peut-il statuer sur l’intégration d’une personne à laquelle il n’a vraisemblablement jamais parlé ? ». Cette phrase laisse à penser qu’automatiquement l’unique application de cet article serait la naturalisation par les urnes, alors que ce n’est qu’une possibilité parmi tant d’autres, et certainement pas la principale. Fort justement le texte de présentation de cette votation par le Conseil fédéral rappelle qu’avant 2003 « moins de 5% des communes naturalisaient par les urnes ». Pourquoi y aurait-il lieu de penser que l’adoption de l’initiative changerait cette proportion ?
Alors que les sondages donnent une large majorité à l’initiative UDC – ce qui n’est plus le cas quinze jours plus tard – Alain Jeannet dans son éditorial de « L’Hebdo », daté du 8 mai 2008, perd son calme légendaire : « Un oui enverrait (…) un signal calamiteux à tous ceux qui désirent s’intégrer et s’associer à notre destin commun. Parce que le texte de l’UDC ouvre la porte à l’arbitraire et à tous les dérapages xénophobes. Parce qu’il érige en système le délit de sale gueule ». Là encore Alain Jeannet réduit l’application de l’article modifié à la seule possibilité donnée de procéder aux naturalisations par vote populaire, pour lequel, comme on le voit, il a une tendresse particulière.
L’un comme l’autre, Moret comme Jeannet, ont tout faux. L’essentiel, dans l’esprit, et dans la lettre, de l’initiative UDC, n’est pas que les naturalisations se fassent par les urnes, mais que les citoyens d’une commune aient la possibilité de le faire s’ils le décident. Ce qui est très différent et on ne peut plus démocratique, malgré qu’ils en aient.
Cette liberté de choix de la procédure de naturalisation par les citoyens d’une commune n’est pas contraire au droit international, ni au fédéralisme, comme le reconnaît Etienne Grisel, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Lausanne, dans un article du « Temps » du 21 mai 2008. Elle résulte du fait que la naturalisation est un acte politique, alors que le Tribunal fédéral en a fait un acte administratif par l’abus de pouvoir que constituent ses décisions du 9 juillet 2003, condamnant un vote populaire et interdisant le déroulement d’un autre.
Etienne Grisel, dans le même article du « Temps », regrette que le compromis du Conseil des Etats conciliant vote populaire et recours n’ait pas été adopté par le Conseil national. En fait le recours n’est pas un droit fondamental en la matière, n’en déplaise au digne professeur, à moins de reconnaître que la naturalisation soit elle-même un droit. Si au contraire la naturalisation est un acte politique, alors c’est au peuple d’avoir le dernier mot, quelle que soit la forme que revêt l’expression de ce mot, directe ou indirecte. Quand le résultat d’un référendum ne plaît pas, est-il possible de faire recours ?
Enfin il est regrettable que l’OFS (Office fédéral de la statistique) serve la soupe aux opposants à l’initiative UDC. Au chapitre de la naturalisation il ne prend pour indicateurs que les taux de naturalisation définis par le nombre de naturalisations pour 100 étrangers. Les pays qui ont peu d’étrangers naturalisent fortement et inversement les pays qui naturalisent peu ont beaucoup d’étrangers. La Suisse est dans ce dernier cas. Ce qui laisse croire qu’il n’y a pas de naturalisations massives dans le pays. Dans son argumentaire l’UDC publie un graphique où apparaît le nombre de naturalisations pour 100 000 habitants. La Suisse est largement en tête de tous les pays européens. Or il s’agit bien là du vrai taux de naturalisation d’un pays, négligé par l’OFS qui a choisi le mauvais dénominateur.
A Emmen, en 2000, le peuple a mal voté puisqu’il a refusé la naturalisation d’un certain nombre de requérants. Trois ans plus tard, le Tribunal fédéral n’a pas jugé. Il est sorti de son rôle. Il a légiféré en désavouant le peuple d’Emmen et en faisant taire celui de Zürich qui s’apprêtait à s’exprimer sur la question de la naturalisation par les urnes.
Le peuple suisse peut avoir le dernier mot le 1er juin prochain. A condition qu’il prenne bien conscience de l’essentiel, sur lequel le monde politico-médiatique se garde bien de lui attirer l’attention, à savoir que c’est lui le souverain.
Francis Richard